Martin Fayulu et Félix Tshisekedi |
Il y a
quelques jours, j’ai reçu un texto de ma sœur m’interrogeant sur la
proclamation du vainqueur au scrutin présidentiel au Congo. Je lui réponds
que c’est Félix Tshisekedi qui a été déclaré gagnant « provisoire ».
Surprise,
et ne connaissant pas trop l’héritier de feu Étienne Tshisekedi, elle me
demande alors si cela est une bonne nouvelle pour le pays, s’il fera du bon
travail ou si on va se débarrasser de lui. Je lui réplique qu’en fait, c’est
beaucoup plus complexe que ça...
Tshisekedi
fils est élu président, mais le chef d’État sortant, Joseph Kabila, a
verrouillé le système de l’état. Ainsi, Félix Tshisekedi n’aura pas les pleins
pouvoirs, du moins au début de son exercice.
De
plus, les résultats sont remis en cause par la puissante Église catholique et
contestés par le principal challenger Martin Fayulu. Ma sœur m’arrête, en me
disant qu’elle n’y comprend rien à la politique congolaise.
Cela
m’a fait rire, et m’a fait réaliser une fois de plus que la politique
congolaise est une danse étourdissante. Les élections au Congo sont
un jeu d’échecs en trois dimensions.
Tout
porte à croire que Joseph Kabila a organisé ses propres élections. Parce que
rien ne pourrait expliquer cette attitude lunatique du peuple : il aurait
vivement voté un opposant à la tête du pays, mais majoritairement choisi le
pouvoir en place aux législatives.
Kabila
est un fin stratège, il a misé sur deux maux congolais : l’égocentrisme et
le tribalisme refoulé. Il a réussi à diviser l’opposition, et à faire renaître
ce démon qu’est l’appartenance clanique, que le président Mobutu avait pourtant
mâtée d’une main de maître.
Jusqu’ici,
la RDC a été un modèle exemplaire du vivre ensemble, et pas seulement pour
l’Afrique, mais au niveau international. Il n’y a pas beaucoup d’endroits au
monde où plus de 400 ethnies cohabitent en paix en utilisant une lingua franca
issue d’un groupe parmi eux.
Ce bel
héritage est menacé par la passion que suscite la dernière élection. D’une
contestation légitime des résultats, certains invitent désormais l’appartenance
tribale au débat. Cet aveuglement derrière « son candidat », désoriente le
citoyen sur les vrais enjeux, qui dépassent de très loin les simples personnes
que sont Félix Tshisekedi et Martin Fayulu.
L’intelligentsia
au service du gouvernement congolais a mis le peuple devant un traquenard :
soit les Congolais s’affrontent entre eux pour installer leur président, soit
ils font appel à la puissance de feu occidentale, qui ne bouge que pour ses
propres intérêts, toujours incompatibles avec ceux de ledit peuple.
Ainsi,
plusieurs compatriotes croient que le dilemme se trouve entre Fayulu et
Tshisekedi. Cela renvoie à cette belle formule que tenait un des candidats
malheureux à la présidentielle, Alain Shekomba, en disant : « à force
d’avoir personnalisé le problème à Joseph Kabila, nous voulons personnaliser la
solution ».
Ce que
tout Congolais doit savoir est que leur élection intéresse au plus haut point
les puissants de ce monde. C’est que le changement du code minier sans délai a
piqué aux vif les multinationales et leurs gouvernements. En effet, le
nouveau code minier appliqué en été 2018 a quintuplé la taxe sur les «
matériaux stratégiques » que les multinationales doivent payer à l’état
congolais. Par un décret, le premier ministre Bruno Tshibala a fait accepter le
cobalt, élément indispensable pour les voitures électriques, à la liste de ces
matériaux stratégiques.
Mécontentes,
les multinationales ont intensifié le lobbying, en plus de rencontrer
personnellement le président Kabila pendant plusieurs heures, sans toutefois
réussir à faire changer d’un iota la décision du
gouvernement. Depuis sa taxe de 2% datant de 2002, la nouvelle taxe
du code minier est désormais de 10%, sans compter plusieurs autres exigences
nettement plus rigides.
Ainsi,
le problème de Kabila aujourd’hui, c’est qu’il est maintenant autant
impopulaire chez les décideurs occidentaux qu’il l’est chez les Congolais. Le
Congolais qui vit avec moins de 2$ US par jour n’a pas senti une seconde les
retombées de cette hausse des redevances du nouveau code minier. La corruption
ayant raflé sa commission bien avant qu’une partie puisse tomber dans
l’assiette du citoyen. De l’aveu même du chef de l’état sortant, 85% de
l’économie congolaise serait informelle.
Cette
crise postélectorale est donc l’alibi rêvé pour les multinationales afin de
régler leurs comptes avec le pouvoir congolais. Le zèle avec lequel le conseil
de sécurité de l’ONU a convoqué le président de la CENI, Corneille Naanga, a
étonné plus d’un. Surtout, lorsque l’on sait qu’à côté au Cameroun, les appels
à la communauté internationale du Dr Maurice Kamto, principal opposant de Paul
Biya, sont restés lettre morte.
Les
grands médias démagogues instrumentalisent la masse. En prenant des images d’un
blessé par-là, un mort par-ci et des témoignages de contrariés, ils préparent
la table pour servir la haine, prémisse d’une guerre civile et/ou une
intervention extérieure. Ils essayent dur comme fer de convaincre les Congolais
qu’ils sont assez vulnérables pour s’envenimer pour deux hommes qu’ils ne
connaissaient même pas il y a deux ans à peine. Oui, car Félix Tshisekedi a
évolué dans l’ombre de son père jusqu’à la disparition de ce dernier en février
2017, et Martin Fayulu était un soldat inconnu au bataillon pour la plupart des
Congolais hors Kinshasa avant cette élection.
Ce
n’est donc pas pour les beaux yeux de Fayulu que l’oligarchie tape du poing sur
la table.
Les
Congolais auront besoin de toute leur intelligence, sang-froid et sens
républicain pour déjouer cette énième menace de division qui pèse contre la république. Le Congo n’a
de chance de survie pour les prochaines générations que s’il demeure un et
indivisible.
Dans
cette ambiance de lutte, il faut savoir danser. Il faut esquisser les bons pas
pour suivre le tempo de…la danse du Congo.
Mayamba
Luboya
[1] Voir et télécharger le nouveau code minier ici : https://www.mines-rdc.cd/fr/wp-content/uploads/Code%20minier/J.O._n%C2%B0_spe%C3%ACcial_du_28_mars_2018_CODE_MINIER%20DE%20LA%20RDC.PDF
[1] Voir et télécharger le nouveau code minier ici : https://www.mines-rdc.cd/fr/wp-content/uploads/Code%20minier/J.O._n%C2%B0_spe%C3%ACcial_du_28_mars_2018_CODE_MINIER%20DE%20LA%20RDC.PDF
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire