lundi 16 octobre 2017

Sankara wetu


15 octobre 1987 - 15 octobre 2017, 30 ans déjà que l'homme intègre, Thomas Sankara, est disparu. Si l'ancien jeune président nous a quittés, son nom est resté dans la mémoire collective africaine, comme si son esprit gardait jalousement le siège du burkinabe le plus célèbre dans le salon des révolutionnaires d'Afrique. 

30 ans, c'est peut-être le temps qu'il fallait pour comprendre la pensée complexe de Thomas Sankara. Son génie est frappant quand on constate qu'au milieu des années 1980, dans une Afrique de tous les maux, il avait déjà élaboré des concepts biens précis sur l'écologie, l'égalité hommes-femmes, et autres sujets visionnaires pour cette époque.

Mais, s'il y a quelque chose que Sankara avait bien compris de son vivant, c'est la force des symboles. Là encore, il était en avance sur son temps. Même aujourd'hui où certains trouvent anecdotique de faire battre sa monnaie à l'extérieur de son continent, où une certaine capitale africaine est toujours nommée à l'honneur de Pierre de Brazza...Sankara avait saisi que Haute Volta ne sonnait pas très africain, d'où la nécessité de rebaptiser le pays Burkina Faso.
Même chose pour l'impérialisme, il savait pertinemment que ce n'était pas forcement une armée américaine de 3 000 hommes, c'était, comme il le vulgarisait si bien : « le t-shirt que vous portez ».

Le vieux (il aurait 67 ans aujourd’hui), doit tout de même sourire de là où il est. Car même mort, son rêve panafricain a fait sa petite route de chemin : son patronyme n'a pas de frontière en Afrique, ses concepts n'ont pas besoins de visas, son caractère a fait des petits partout sur la terre mère, bref, tout le monde s'est approprié la figure Sankara.

Une appropriation telle que même dans le village de mon père, chez les Bakwa Ndaba du Kasaï en RDC, le nom Sankara ne passerait pas inaperçu.  Ils l'appelleraient « notre Sankara », bien entendu dans la langue locale, en ciluba, « Sankara wetu ».


Mayamba Luboya

samedi 14 octobre 2017

Palabre sur le franc CFA : une question de caractère


Manifestation contre le FCFA
Le 10 novembre 1963, devant une foule conquise à Détroit, Malcolm X, dans son éloquence habituelle, fait une analogie qui restera marquée dans l’histoire de la lutte d’émancipation des afro-américains : the house negro & the field negro.


Pour le porte parole de la Nation of Islam, mélangeant brillance et sarcasme, au temps de l’esclavage des noirs aux États-Unis il y avait deux sortes d’esclaves : celui de la maison et celui des champs.

Le premier, comme son nom l’indique, habite dans la demeure du propriétaire. Il est docile et réfractaire au changement tant il se sent protégé et pris en charge par le maître. Il est domestiqué et apprivoisé à se sentir à l’aise dans le système. Le deuxième est dans les champs, il vit quotidiennement la cruauté de l’asservissement, il prie pour la mort du maître, et n’a qu’un seul rêve : s’enfuir de cette plantation pour créer un monde meilleur.

Prophète Malcolm X ? Surement, car sa métaphore est toujours d’actualité 50 ans plus tard. Aujourd’hui, le débat sur le franc CFA reflète drôlement les propos du prêcheur panafricain. 

Le FCFA, d’abord franc des colonies françaises d’Afrique, pour ensuite être rebaptisé - marketing oblige - franc des communautés financières d’Afrique, est un héritage colonial, monnaie fabriquée en France et appartenant à la zone franc, toujours la devise de 14 pays africains près de 60 ans après les « indépendances ».

Ce billet, une bonne partie d'Africains, surtout la jeunesse, n’en veut plus. Ils aspirent à gérer leur propre destin, rêvent d’une monnaie unique africaine qui pourra un jour, pourquoi pas, concurrencer avec le Yuan, l’euro et le dollar.

Désir tout à fait normal et légitime, direz-vous. Après tout, presque tous les peuples du monde, à quelques exceptions rares comme le Japon, ont été à un moment donné de leur existence soumis à une tutelle avant de se relever et exercer leur droit à l’autodétermination. 

Mais, sortir du FCFA fait débat en Afrique. Une autre partie d’Africains, dont plusieurs chefs d’état, sont totalement adverses à quitter cette structure.


Les arguments des pros-FCFA

Pour les partisans du FCFA, cet argent ne cause aucun problème de souveraineté aux pays membres. D’ailleurs, la question du FCFA serait essentiellement économique, donc ne devrait en rien concerner les politiques, groupes de pressions et autres donneurs d’opinions de nos sociétés.

Les défenseurs du FCFA sortent quelques chiffres du FMI démontrant que les pays africains sous le FCFA ont eu plus de succès, dans certains domaines, que ceux en dehors. Que le fait que le FCFA soit géré par la France serait beaucoup plus de l’aide de bonne volonté aux pays aux faibles économies que de la recherche de profit ou autres intérêts quelconques, car la monnaie qui circule dans une quinzaine de pays d’Afrique ne pèse pas lourd sur le PIB français.

Mais l’argumentation la plus populaire chez les pros-CFA est la stabilité. Le FCFA est stable, c’est un fait, et ses souteneurs craignent le risque d’une dévaluation et autre catastrophe s’il fallait changer de devise.


L’Afrique est grande maintenant

Et pourtant des solutions de rechange existent. Plusieurs pays sont sortis de la zone franc et ne sont pas morts pour autant. Il existe d’autres états, comme celui de la Corée du Nord avec une monnaie près de 2 fois plus dévaluée que le FCFA, mais tout de même avec un PIB par habitant avoisinant celui du Burkina Faso par exemple.

Des économistes de renoms comme Nicolas Agbohou et Mamadou Koulibaly ont publié des pistes de solutions depuis des années. Les pays membres du FCFA ne sont donc pas devant l’inconnu, comme un affranchi qui, une fois sa liberté reprise, ne sait guère où aller.

L’Afrique est-elle cette grande ado dans un corps d’adulte ? Se refusant à vieillir, elle a atteint l’âge mature de vivre seule, mais compte toujours sur ses parents pour l’aider à payer le loyer..

Nos ancêtres n’avaient pas de PhD en économie, mais ils savaient pertinemment que manager sa monnaie au Portugal ou en Allemagne n’était pas très brillant.


Quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage


1851, en pleine période de la traite des noirs aux États-Unis, un médecin américain inventa de toute pièce une maladie mentale propre aux esclaves noirs, la « drapétomania ». Cette « indisposition » était décrite par son concepteur comme : la façon récurrente d’esclaves à s’enfuir de leurs lieux de captivités. D’où « drapete », signifiant fuyard en grec ancien, et « mania » désignant folie.   

Aujourd’hui, la maladie à la mode que l’on veut coller aux africains qui veulent sortir du FCFA c’est, l’émotion! Une sorte « d’émotionomania », une folie passionnelle qui empêcherait l’Africain de régler des questions sensibles avec lucidité.

La jeunesse africaine doit s’opposer à ce mépris avec la dernière énergie.


Une question de caractère


À travers ses observations, Charles Darwin remarqua que notre écosystème est fait de rapport de force dont seuls les plus aptes survivent à ces interactions.

Car, souvent plus que l’intelligence, le caractère est l’élément qui fait toute la différence. Comme si la nature ne tolérait aucune forme de faiblesse.

Le caractère ne s'apprend pas à l'école, ou peut-être, à l'exception, de la cour de récréation.

Le caractère est le frère ennemi de l'intelligence. Comme elle, il est inné et son développement est conditionné par son environnement. Ainsi, un sol propice lui permettra d'exprimer sa pleine potentialité et vice versa.

Mais contrairement à sa sœur, le caractère est fier! L'un n'est pas antagonique à l'autre, cependant leur cohabitation demande du doigté pour éviter que l'un ne piétine sur les plates-bandes de l’autre.

Longtemps, le caractère et l'intelligence se sont affrontés dans l'esprit des grands hommes. Lumumba, Churchill, Mao et autres ont tous eu besoin un jour de prendre une décision basée sur le caractère pour l’avenir de leurs peuples.

Pour ou contre le FCFA, chaque camp campant sur ses arguments, cette palabre nous démontre clairement qu’elle est belle et bien, une question de caractère.




Mayamba Luboya

Kalala, un nom qui lui allait si bien