mercredi 26 septembre 2018

Harlem : Grandeur et Décadence


Des résidents de Harlem en 1943
Pendant longtemps, Harlem a été le centre spirituel du monde afro-américain. Ce Harlem, telle une terre promise, où les Noirs allaient au cinéma à l’époque où ceux du sud des États-Unis vivaient sur le qui-vive. Là où les afro-descendants respiraient ce vent de liberté qui leur permit d’exprimer toute leur créativité.


Le Harlem où Marcus Garvey, campé sur un coin de rue, y électrisait les passants avec ses discours-fleuve. Le Harlem de Malcolm X, là où le jeune prédicateur y arpentait les allées pour convertir ses compatriotes en membres de la Nation Of Islam.

C’est toujours dans ce Harlem que le président Thomas Sankara tenu mordicus à s’y rendre pendant son séjour New-Yorkais afin d’y rencontrer la communauté. Le Burkinabé le plus célèbre prononça ensuite cette formule restée dans les esprits, « notre Maison-Blanche se trouve dans notre Harlem Noir ». À une époque très discriminatoire, Harlem faisait donc office de « Washington parallèle » pour les laissés pour compte sous le drapeau le plus puissant du monde contemporain. 

Hasardeusement, la sélection naturelle a voulu que Harlem présente un taux élevé de fibre entrepreneuriale. En effet, de Puff Daddy à Dame Dash, et j’en passe, le quartier a été le berceau de plusieurs têtes de l’élite entrepreneuriale afro-américaine. Comme si l’art des affaires s’absorbait dans l’air à Harlem. Partis de rien, ces hommes et femmes ont bâti des entreprises qui ont façonné le paysage économique américain et fait la fierté de leur groupe.

Mais, les entrepreneurs qui ont réussi légalement ne représentent qu'un côté de la médaille. La grande majorité de ces jeunes dotés d’un énorme potentiel d’entreprendre, qui auraient pu devenir les nouveaux industriels du pays, ont été ramassés par la séduction maléfique de la rue, trop tentante dans ce piège à con que sont les ghettos américains.

Ainsi, ceux qui auraient pu devenir PDG d’une entreprise « top500 » du magazine Fortune, ont terminés drogués, emprisonnés, et souvent, morts.

C’est les cas de Guy Fisher et Richard Porter. Le premier est emprisonné depuis 1984 pour trafic de drogue. Dr Fisher a complété un doctorat en sociologie en prison. D'ailleurs, une pétition pour sa remise en liberté circule actuellement sur internet. Le second a eu moins de chance, « Rich », comme le surnommait ses proches, a été assassiné par un de ses acolytes.

La dernière fois que j’ai été à Harlem, c’était en septembre 2017. J’ai été frappé par la souffrance sur les visages des gens et les nombreuses personnes aux prises avec un trouble mental évident. Harlem la Belle a perdu de son charme. 

Espérant qu’elle ne perdra pas son âme..



Mayamba Luboya 


jeudi 13 septembre 2018

« Kibongai », le mal congolais


Les leaders de l'opposition Congolaise en reunion à Bruxelles

Kibongai est un terme Kinois, un argot inventé, comme beaucoup, par le milieu populaire de la ville de Kinshasa, capitale de la RDC. 

Ce mot est une autre création de l’imagination débordante et du sens de l’humour légendaire des jeunes citadins congolais. Le mot se prononce Ki-bo-ngaï



En lingala, langue vernaculaire en RD Congo, Ki est un préfixe, ainsi, précédant un mot, il vient en formuler un autre qui à son tour devient un dérivé du radical. Ce second mot débutant par ki indique la « personnalité » du premier. Exemple, « Mwasi » signifie femme, kimwasi désigne donc la féminité. « Mobali » se traduit homme, kimobali veut alors dire masculinité, et ainsi de suite.

Bo, est un autre préfixe. Il désigne lui aussi le caractère du mot qu’il précède, exemple, solo signifie « vrai », bosolo veut dire « ce qui est vrai », la « vérité ».  

Ngai signifie, moi.

L’expression kibongai compte donc un double préfixe. On peut interpréter Bongai par « ce qui est moi », et ensuite, kibongai, par le « caractère de ce qui est moi ».

Traduire, c’est trahir dit-on, cette interprétation de kibongai est le rapprochement le plus près que l'on peut concevoir dans la langue de Molière.  


Toutefois, ce que kibongai veut véritablement dire dans l’esprit Kinois c’est : rien que moi. Le kibongai est à mi-chemin entre un fort besoin de reconnaissance et le ressentiment d’une jalousie. Ce n’est pas seulement le besoin d’être au-devant de la scène, c’est vouloir être seul sur scène, carrément être le spectacle. C’est une mentalité de compétition malsaine et destructrice. Elle est sournoise puisque omniprésente dans les communautés congolaises. 


Des musiciens aux politiciens, en passant par les pasteurs, le kibongai n’exclut aucun groupe, il ne discrimine aucune classe sociale. 


Le kibongai est un long héritage de la vieille stratégie coloniale de diviser pour mieux régner et de la culture de l’homme fort qui prévaut en Afrique. Dans cette tradition, il n’y a de place que pour les premiers, les autres étant souvent effacés de la mémoire collective. Qui se rappelle encore de Mpolo et Okito ? Eux qui ont pourtant subi le même sort atroce que Lumumba. Qui peut nommer, sans googler, le numéro 2 des grands partis politiques en RDC ? 


Ennemi redoutable, souvent négligé, le kibongai est la bête noire de la classe politique congolaise. C’est d’abord lui, bien avant les facteurs externes, qui bloque la gâchette de l’Afrique si chère à Frantz Fanon. 


Les concepteurs de ce jargon ne sont donc pas allés chercher bien loin pour en trouver l’inspiration. Le premier citoyen du pays pendant 32 ans en était un parfait exemple, « après moi, le déluge », scandait le président Mobutu, qui ne croyait pas si bien dire. Mais, le Maréchal n’est pas le père de cette pensée. Bien avant lui, le M.N.C, premier parti politique national du Congo, espoir de tout un peuple, se disloquait peu de temps après sa conception, victime d’une guéguerre de leadership. Là encore, le kibongai avait frappé. 


Tous les membres étaient pourtant convaincus de la nécessité de sortir de la colonisation, tous, ou presque, aimaient le Congo profondément, mais les choses se compliquèrent lorsqu’il fallut s’entendre sur la direction de l’organe. Il s’agissait de la première fois, et non la dernière, que le patriotisme congolais perdait sa bataille contre l’égoïsme traditionnel.  


Encore aujourd'hui, s’il y a près de 700 partis politiques au Congo, ce n’est vraiment pas parce qu’il y a 700 idéologies distinctes. La vérité, c’est qu’il y a 700 égos à nourrir. 


La nouvelle classe de dirigeants se retrouve devant un défi majeur, qui a eu gain de cause sur leurs aînés. 


« Le Congo est grand, il demande de nous de la grandeur », dixit Patrice Lumumba.


Mayamba Luboya 

mardi 4 septembre 2018

Tradition congolaise et Rastafarisme, la connexion spirituelle...

La spiritualité est une expérience intime, un marathon plutôt qu’un sprint, un des rares chemins où la route est autant importante que la destination. 

La spiritualité est propre à un peuple, avec son repère de pensée et ses représentations divines.

De ces éléments, et avec un consensus au sein de sa communauté, l’être spirituel rassemble les bases de ce qui constitue sa religion. 

S’il y a tant de religions, c’est parce qu’il y a tant de peuples. Les Luba du Congo appellent Maweja Nangila l’être suprême que les Maures de Mauritanie appellent Allah.

Dans la tradition de certaines collectivités du bassin du Congo, « Nganga », un mot en lingala, signifiait connaisseur, voyant, guérisseur. J’écris « signifiait », car le nom a hérité d’un équivalent de plus depuis le contact avec les colonisateurs.  En effet, aujourd’hui, Nganga signifie aussi « sorcier ». Même que ce dernier synonyme a pris le dessus sur tous les autres.

Pourtant, d’un regard étymologique, le terme Nganga n’a aucune racine de sorcellerie. En fait, Nga signifie Moi, Nganga veut donc littéralement dire « MoiMoi ». Une représentation pour désigner le moi intérieur, le moi supérieur, le moi spirituel. Le Nganga était donc celui censé avoir une connaissance profonde de son âme, d’où son rôle de guérisseur parmi les siens. 

D’ailleurs, la traduction lingala de médecin est « Monganga », dont Nganga en est la radicale et qui signifie fidèlement : celui qui est « MoiMoi », que l’on peut interpréter par celui qui est guérisseur.

Le Nganga d’antan pratiquait le Nkisi, un exercice mystique afin d’opérer ses visiteurs. De nos jours, Nkisi est associé au mot fétiche. Parce que le lingala compte plusieurs mots polysémiques, curieusement, Nkisi veut aussi dire médicament.  Ce qui nous renvoie encore une fois à la posture du Docteur. 

Ce qui est encore plus étonnant est de retrouver la notion de Nganga en plein cœur du Rastafarisme. Le Rastafarisme, une religion issue de la Jamaïque, prophétisée par Marcus Garvey au début du 20e siècle et galvanisée par Bob Marley près de 50 ans plus tard.


Les croyants de Ras Tafari suivent trois concepts fondamentaux, et une de ces trois doctrines est l’« I and I » (Moi et Moi). Force est de constater qu’ « I and I » n’est que la version anglophone de Nganga. Les « Rastas » définissent l’ « I and I » comme étant « Jah (Dieu) est en chacun ».

Le Rastafarisme n’a pas fait de copier-coller sur la tradition congolaise, il a découvert ce principe grâce à sa propre inspiration spirituelle. 

Il est frappant de voir qu’à des siècles d’intervalles, dans des environnements bien différents, deux communautés arrivent exactement à la même conception de l’esprit.

Il y a là, sans l’ombre d’un doute, entre la tradition congolaise et le Rastafarisme, une connexion spirituelle. 



 



Mayamba Luboya

Kalala, un nom qui lui allait si bien