mercredi 17 janvier 2018

Hélène Bijou ou la dernière danse de Patrice Lumumba

Mata Gabin joue le rôle d'Hélène Bijou dans le
film Lumumba de Raoul Peck. 
Fin août 1960, dans un jeune état à peine âgé de deux mois, le nouveau Congo est désormais libre de l’occupation belge, mais aussitôt pris avec ses propres luttes intestines.

Si le président Kasa-Vubu et le premier ministre Lumumba tentent, tant bien que mal, de cohabiter, certains pères de l’indépendance comme Albert Kalonji ont déjà jetés l’éponge de l’unité nationale.

Kalonji enclenche la sécession de son coin de pays, le Sud-Kasaï. C’est pour mâter cette dernière que Lumumba y envoie les troupes de l’armée. Pour cette opération, le groupe de soldats conduit par Mobutu utilisa une force excessive qui se résulta par un bain de sang. Cette brutalité est entrée dans les annales de l’histoire comme le tristement célèbre «massacre de Bakwanga ».

Cette boucherie fit un tollé, non seulement national, mais aussi au sein de la communauté internationale. La faute est imputée à Patrice Lumumba, car même s’il y a eu dérapage, l’ordre initial d’utiliser l’action militaire venait de lui.

Les Occidentaux, qui veulent la tête du jeune premier ministre non-aligné trouvent là une bavure parfaite à exploiter. Même Kasa-Vubu qui résistait aux pressions de destituer Lumumba, commence sérieusement à y penser, et le fera quelques jours plus tard.

S’il y en a un autre qui est vraiment déçu, c’est Kwame Nkrumah. À plusieurs reprises il a tenté, en vain, de convaincre Lumumba d’oublier l’option des armes pour mettre fin à l’autonomie créée par Kalonji. Le président ghanéen avait-il prévu ce scénario ? Mobutu qui travaillait déjà avec les assassins des services secrets français « La Main rouge », avait-il délibérément orchestré cette tuerie pour saboter son chef ? 

Des questions qui laissent le champ à beaucoup d’interprétations…

À ces accusations, la réponse de Patrice Lumumba est complexe, symbolique, voire poétique. Quelque temps après le massacre de Bakwanga (ancienne Mbujimayi), Lumumba…danse dans un bar, suivi d’une meute de journalistes.

En effet, le 1er premier ministre du Congo esquisse des pas de rumba avec une certaine Hélène Bijou. Cette dernière serait d’une beauté si précieuse qu’on la surnommait Bijou.

La scène semble banale, mais pour Anicet Kashamura, porte-parole et ami de Patrice Lumumba, elle est tout sauf anodine.  Dans son bouquin, De Lumumba aux colonels, Kashamura avance qu’en dansant avec Hélène Bijou, une Lulua, Lumumba voulait célébrer et se moquer de la fuite d’Albert Kalonji. Le but serait donc politique, et renverrait au conflit Lulua-Baluba qui fît rage, et dont Kalonji était un des principaux protagonistes.

Une autre hypothèse voudrait que Lumumba souhaitait exprimer à la presse internationale qu’il était au-dessus des guerres fratricides des ethnies congolaises. Qu’il savait trop bien que c’est eux, les colons, qui avaient monté cette tension entre Lulua et Baluba.

Toutes ces interrogations autour de ce moment entre Lumumba et Hélène Bijou ont continué à persister. Dans sa pièce de théâtre « Une saison au Congo », Aimé Césaire reprend la scène. L’écrivain martiniquais présente un Lumumba sentant sa vie s’écourter. Il veut d’Hélène Bijou qu’elle « danse sa vie » et qu’elle continue à être belle quand il ne sera plus de ce monde.

Bien que bouleversant l’ordre chronologique, Raoul Peck reprend aussi la partie de cette danse dans son film Lumumba.

Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a toujours pas beaucoup d’informations sur cette Hélène Bijou, son nom de famille est toujours ignoré, comme si elle était volontairement passée entre les mailles du filet de l’histoire.

Toujours dans le livre De Lumumba aux colonels, Anicet Kashamura affirme qu’elle présidait un « comité de vigilance », exclusivement composé de femmes, pour protéger la sécurité de Patrice Lumumba dans les jours précédents sa fameuse fuite vers l’Est du pays et sa mort.

Ce que l’on sait cependant est qu’elle était une de ces « femmes libres » fréquentant les bars de Léopoldville. Et qu’aux yeux du monde, Hélène Bijou a été la dernière danse de Patrice Lumumba.



Mayamba Luboya 

vendredi 5 janvier 2018

La déconnexion émotionnelle de Joseph Kabila

Joseph kabila
Le 31 décembre 2017, dans son discours de fin d’année, le président 
« hors mandat » Joseph Kabila présente ses vœux à ses « chers compatriotes ». Comme à l’accoutumée, sa voie est basse, son ton est monotone et son attitude nonchalante. 

À peine quelques heures plus tôt, 8 personnes ont trouvé la mort et une quarantaine ont été blessées lors de manifestions organisées par l’Église Catholique. Et pourtant l’homme censé être le garant de la nation ne prononce pas un mot sur ces incidents. Pas de condamnations des violences, pas d’assurance qu’il y aura une enquête pour faire la lumière, pas d’offre de condoléances…rien!

Cela peut sembler étonnant aux yeux du monde, mais pour les Congolais c’est le Kabila qu’ils connaissent, ou plutôt ne connaissent pas, depuis 16 ans : d’un froid glacial. Dur d’avoir l’impression qu’il croit en ce qu’il dit tant il parle comme un robot, comme si on lui soufflait des phrases à l’oreille en temps réel.

Cette manière méprisante d’être détaché ne fait qu’accentuer le fossé entre une majorité des Congolais et lui.  

Il faut remonter à la colonisation belge pour se rappeler un dirigeant aussi froid. Car, tous les Congolais qui ont précédé Joseph Kabila à ce poste, de LD Kabila à Mobutu en passant par Kasa-Vubu, n’ont jamais été si peu démonstratifs d’empathie envers leurs compatriotes.

En 2016, Le Togolais Edem Kodjo était négociateur chargé de faciliter un dialogue entre le pouvoir congolais et son opposition, il a eu à côtoyer Kabila durant la médiation instiguée par l’Union Africaine. Dans une entrevue accordée à l'hebdomadaire Jeune Afrique, Kodjo décrit que le jeune président est d’une « sensibilité à la fois vive et rentrée…». La journaliste belge Colette Braeckman abonde dans le même sens, dans son ouvrage « les nouveaux prédateurs : politique des puissances en Afrique centrale », elle dit de Joseph Kabila que, selon son entourage, il passerait beaucoup de temps à lire et écouter ses critiques sur internet.

Que se cache-t-il donc derrière cette carapace de fer ? Cette froideur sans nom serait-elle un mécanisme de défense pour un être plus sensible que la norme ou Kabila n’est qu’un asocial incapable de ressentir la souffrance des autres ?

Il en revient aux spécialistes de la santé mentale de s’attarder sur ce cas. En ce qui concerne le Congolais lambda, peu importe le diagnostic, Joseph Kabila est le pire communicateur de l’histoire du leadership de ce pays.

Même l’éleveur parle à ses vaches. Comment peut-on penser conduire un peuple en jouant les muets mystérieux ?

Ce n’est surement pas à Joseph Kabila que l’on demandera d’être un tribun, mais il est d’un tempérament si désinvolte que l’on est on droit de se questionner s’il n’est pas émotionnellement déconnecté des Congolais ?  




Mayamba Luboya 

Kalala, un nom qui lui allait si bien