samedi 30 avril 2016

Papa Wemba & le Nzambeakosalisme




Papa Wemba sur sa dernière scène



Il y a quelques jours, un grand artiste a dit adieu à la terre des hommes. Un génie des mots, un surdoué du son. Celui que l’on surnommait le Rossignol, a tiré sa révérence de la  manière la plus artistique qu’il soit, en quittant la scène, en fermant le rideau.


Les mélomanes regrettent, oui, parce qu’il est mort, mais égoïstement aussi, parce qu’ils savent que ça prendra des années avant d’avoir un autre ambassadeur de la musique africaine du calibre de l’illustre disparu.


Comme tout grand personnage, sa mort a créé une polémique. Débat propulsé par le 2.0. Entre les complotistes qui sont, 100% sûrrrrs et certains, qu’il s’agit d’un empoisonnement au micro, les fatalistes qui résume tout bonnement que « quand c’est ton heure, c’est ton heure » et les extrémistes prêts à déclencher une guerre civile Congo-Ivoirienne, il reste peu de place pour le gros bon sens.


Il y a bien entendu des questions à se poser. Exemple, comment se fait-ils que des secouristes de la Croix-Rouge présents sur le podium, ne savent pas comment… secourir ? À quoi servent  leurs dossards alors ? À avoir un accès backstage ? Une entrée gratuite ?


Et si plusieurs s’étaient évanouies, comme ça arrive parfois dans les concerts, comment on gère ? Il y a-t-il au moins un professionnel de la santé sur place qui aurait pu orienter et calmer les esprits ?


La réponse prend une dimension spirituelle. Dans une allocution devant public, l’organisateur du spectacle, le chanteur A’salfo, évoque Moïse pourchassé par les pharaons, et finalement épaulé par Dieu pour s’enfuir en ouvrant  la mer rouge.  Il serait lui aussi, A’salfo, devant un océan parce que Papa Wemba a décidé de « mourir dans ses bras » sur la scène de son festival, le FEMUA. C’est seulement entre africains qu’on peut accepter des énormités du genre. Si c’était Johnny Hallyday qui avait rencontré la grande faucheuse sur cette scène, j’aimerai bien entendre le promoteur parlé de mort dans les bras pour affronter des océans.


Bien entendu, il serait grotesque de mettre sur les petites épaules d’A’salfo toute la charge de cette tragédie. Comme il est tout aussi insignifiant de sa part d’affirmer, sans cligner des yeux, que Wembadio est venu honorer son village en y perdant la vie.


Mais malheureusement, cette sorte d’explication est commune en Afrique. Nzambe akosala, en lingala, expression devenue très populaire, signifiant Dieu va faire. Cette phrase est surement la plus panafricaine des formules tant elle omniprésente en Afrique subsaharienne. Mais plus qu’un énoncé, elle a quasiment atteint le rang d’une philosophie, le Nzambeakosalisme. Le courant de pensée des Nzambeakosalistes consiste à rejeter l’homo capax Dei, et a refiler au Miséricordieux tous ses maux de têtes.


Dieu a le dos large, pour emprunter ici, une expression Québécoise. On peut lui faire porter tout et n’importe quoi à ce Dieu : notre négligence, notre incompétence, notre ignorance, et même, notre mauvaise foi. On l’invoque à toutes les sauces. Et nous sommes presque contraints d’avouer que c’est logique : qui à part Dieu serait assez bon pour accepter de prendre toute cette responsabilité, toutes ces critiques ? Qui ferait un meilleur bouc émissaire pour trimballer les péchés des hommes ? Nzambe ne vous traduira pas en justice, ou ne vous donnera la réplique dans une vidéo YouTube. Avec Dieu comme fonds de commerce, tout passe comme une lettre à la poste. Ce n’est pas moi oh, c’est l’éternel des armées !! Allez c’est réglé, on n’en parle plus.


Nous pourrions en rire si les répercussions n’étaient pas si graves. Parce que des morts comme Papa Wemba en Afrique, il y en a tous les jours. Le regretté, du fait de son statut social, n'a permis que de mettre la lumière sur un fléau qui gruge la continent mère : le haut taux de mortalité pour des incidents mineures. Les enfants qui décèdent quotidiennement dans des hôpitaux pour manque de matériels, erreur du personnel, ou encore, d’interminables heures d’attentes, ont eux aussi, comme le Rossignol, payés de leurs âmes, le prix très élevé de notre médiocrité.

 

De grâce, ne leurs dites pas que Dieu va faire, il a déjà fait beaucoup. C’est à notre tour maintenant.

 

Guy-Serge Luboya
 
 

mardi 5 avril 2016

Mabika Kalanda face au combattant congolais


Mabika Kalanda
 
Sur la route de la révolte, au carrefour de la révolution, s’entrecroise un théoricien et un pragmatikos. Le premier, Mabika Kalanda, se retrouve hasardeusement sur ce chemin politique en traquant la piste du «Muntu » sous un ciel colonisé.

Feu Kalanda (1932-1995), qui entama une quête identitaire pour ses compatriotes et lui, est resté dans la mémoire collective congolaise et africaine, notamment par son ouvrage le plus célèbre : La remise en question ; base de la décolonisation mentale. La réflexion abordée dans cet essai, est récupérée et agrémentée à la sauce Mobututienne par le président Zaïrois qui en fait une inspiration de son recours à l’authenticité.   



De son vivant, M. Kalanda fut un intellectuel au sens Sartrien du terme. Il charge la perversité du colonialisme jusque dans l’église, ainsi il abandonne son prénom chrétien d’Auguste pour Mabika. Mais, surtout, l’homme de lettres est plus critique envers ses frères, qu’il appelle à une introspection réelle et sincère, voir même jusqu`à « confronter les ancêtres », pour définir leur équilibre dans un monde en constante évolution. 


Le second passant sur ce rond-point de la rupture, le combattant congolais, lui, cherche ses repères. Enfant de l’immigration, il est accablé du mal du pays, il voit à sa mère patrie mourir à petit feu sous son regard impuissant et distant.


Le combatant est un pratico-pratique. Adepte de l’action directe et des slogans hostiles, il n’a pas la culture d’un Kalanda et n’en ressent aucun complexe. Même qu’il éprouve une certaine animosité envers ces intellos qui ont mal dirigés son pays pendant des décennies. Il les range dans la même catégorie que les faux-pasteurs et les politiciens bonimenteurs, celle des « embrouilleurs ».


Et pourtant lui aussi n’est pas à l’abri des critiques. Sa carence théorique désorganise sa pratique. Ses réactions impulsives lui poussent à commettre de grossières bavures qui déroutent son combat.


Nos deux messieurs vont à Rome, mais les itinerarius sont le jour et la nuit. Malgré les avenues discordantes, on dit qu’il n’y que les montagnes qui ne se croisent pas. Le rendez-vous entre le théoricien et le pragmatikos était donc dans l’alignement des astres. Nous y voilà, nous y sommes, au croisement de l’abstrait et de la praxis, à la confrontation de l’idéal et du rationnelle.


La solution découlera du meilleur des deux mondes, j’en suis convaincu.


Si combattant savait, si Kalanda pouvait…

 



Guy-Serge Luboya

Kalala, un nom qui lui allait si bien