Vous avez sûrement déjà entendu parler du tango, cette danse à deux ou quatre temps, improvisée ou chorégraphiée, selon les tendances.
La littérature
dominante nous dit qu’elle est née en Argentine vers 1880 dans les quartiers
chauds de Buenos Aires. La danse a pris une «
cure de noblesse » au début du 20e siècle en étant
acceptée par la classe bourgeoise argentine et après un passage dans les adresses
huppées de Paris.
Le tango, nous disent donc plusieurs spécialistes
de la question, est un enfant argentin tirant légèrement son influence, du
moins sa structure rythmique, de la habanera de Cuba.
Le hic est que le mot tango n’existe
pas dans le lexique espagnol.
Pour pallier ce vide, un débat étymologique assez amusant a
pris forme. Dans ce palabre, la surenchère des hypothèses étonne. En effet, une
liste d’auteurs, d’historiens, de musicologues avance des affirmations assez
insolites. Il y a les plus créatifs pour qui le tango viendrait d’un vocable japonais,
car il serait l’homonyme d’une ville, une région et une fête nationale au pays
du Soleil-levant.
Il y a les
nostalgiques qui veulent, mordicus, ressusciter le latin en soutenant que tango
viendrait de cette langue morte où le verbe tangere signifie
toucher, et dont tango voudrait littéralement dire : je touche.
Mais la
palme revient sans équivoque aux plus aventuriers, selon eux, tango viendrait
de Tang-Ho, une région d’Indochine d’où auraient fuient les Tsiganes et
autres peuples nomades pour immigrer en Europe après avoir été chassé de l’Inde
par les invasions turques et mongoles…
Curieusement,
ces auteurs ne questionnent pas les langues africaines. Et pourtant, déjà au
début du 19e siècle à Buenos Aires, on appelait tango les maisons où les noirs organisaient leurs fêtes.
La vérité
est que tango vient du kikongo. En effet, en kikongo et en lingala, tango signifie
le temps. Tango s’écrit aussi ntango et ntangu et dans la plupart des langues congolaises
le o & u sont interchangeables pour la majorité des mots.
Plus que le
simple mot, la danse même vient du patrimoine culturel Kongo.
En effet, tout
commence en 1719, cette année-là 450 Africains sont traînés de force en
Louisiane pour y subir l’esclavage. Néanmoins, les autorités décrètent le dimanche
comme un jour férié pour ces esclaves. Pour profiter de leur congé, ils vont dans
un espace pour chanter et danser.
Cet espace
sera plus tard baptisé comme étant le fameux Congo Square de La Nouvelle-Orléans
(la Place Congo).
Place Congo,
parce que la majorité des esclaves viennent du Royaume Kongo, même s’il y a
aussi des Wolofs, des Bambaras, des Fulanis, d’autres peuples non archivés, et
plus tard, des Haïtiens. Mais, Congo aussi parce que tous les esclaves étaient
appelés kongos dans un processus raciste de stéréotypisation.
C’est dans
cette Place Congo que ces hommes et femmes noirs se mettent à pratiquer
plusieurs danses amenées de leur terre mère. La culture Kongolaise s’impose vu qu’elle
était celle de la majorité. C’est donc à cette période, dans ce petit carré,
que l’on répertorie pour la première fois la danse du tango en occident.
C’était un jour
de 1786, un évêque du nom de Cyrillo de Barcelona formule une plainte au sujet
des noirs qui dansent sur la Place Congo à l’heure de son culte. En réponse à
cette protestation, le gouverneur, un certain Esteban Miró confirme qu’il va interdire « los tangos, o bailes de negros » (les
tangos ou danses des noirs).
L’empire espagnol
qui détient les territoires de l’Argentine et de Cuba à cette époque va aussi
être propriétaire de la Louisiane de 1766 à 1800, soit à la même période du développement
de la Place Congo.
À la fin du
18e siècle, plusieurs colons quittent Saint-Domingue (ancienne Haïti)
pour échapper à la révolution qui mènera à l’indépendance d’Haïti. Dans cette
fuite, ces colons partent avec leurs esclaves pour s’installer à Cuba. C’est à Cuba
que ces esclaves venant de Saint-Domingue produisent des tangos. Les Cubains de
l’époque apprécient tellement la danse qu’il se l’approprie et la nomme
habanera, qui signifie, « de La Havane ».
C’est cette
habanera ensuite transportée à Buenos Aires et la présence des Africains venant
de Cuba qui est à la source de que l’on appelle aujourd’hui, le « tango argentin ».
C’est aussi grâce
à la présence de la danse à Saint-Domingue et à Cuba que l’on sait que le tango
était connu de tous les kongos, et n’a donc pas été inventé qu’une fois en esclavage
en Louisiane.
Ce qui est
encore plus surprenant est que ces esclaves sont les parents de la tangothérapie.
En effet, de récentes études en psychanalyses prouvent les potentialités psychothérapeutiques
du tango.
De là où il est, l’évêque Cyrillo de Barcelona sait maintenant pourquoi
ces hommes et femmes africains dansaient le tango sur la Place Congo au lieu d’assister
à sa messe…
Mayamba Wa
Luboya
Sources :
Congo Square,
racines africaines de La Nouvelle-Orléans
Paris,
Buenos Aires : un siècle de tango
Tango dico :
Dictionnaire voyageur et initiatique du tango
Tango argentin
et psychanalyse
Voir aussi :
Le documentaire tango negro du réalisateur angolais Dom Pedro