Mata Gabin joue le rôle d'Hélène Bijou dans le film Lumumba de Raoul Peck. |
Fin août 1960, dans un jeune état à peine âgé de deux
mois, le nouveau Congo est désormais libre de l’occupation belge, mais aussitôt
pris avec ses propres luttes intestines.
Si le président Kasa-Vubu et le premier ministre
Lumumba tentent, tant bien que mal, de cohabiter, certains pères de l’indépendance
comme Albert Kalonji ont déjà jetés l’éponge de l’unité nationale.
Kalonji enclenche la sécession de son coin de
pays, le Sud-Kasaï. C’est pour mâter cette dernière que Lumumba y envoie les
troupes de l’armée. Pour cette opération, le groupe de soldats conduit par
Mobutu utilisa une force excessive qui se résulta par un bain de sang. Cette brutalité
est entrée dans les annales de l’histoire comme le tristement célèbre «massacre
de Bakwanga ».
Cette boucherie fit un tollé, non seulement
national, mais aussi au sein de la communauté internationale. La faute est imputée
à Patrice Lumumba, car même s’il y a eu dérapage, l’ordre initial d’utiliser l’action
militaire venait de lui.
Les Occidentaux, qui veulent la tête du jeune premier
ministre non-aligné trouvent là une bavure parfaite à exploiter. Même Kasa-Vubu
qui résistait aux pressions de destituer Lumumba, commence sérieusement à y
penser, et le fera quelques jours plus tard.
S’il y en a un autre qui est vraiment déçu, c’est
Kwame Nkrumah. À plusieurs reprises il a tenté, en vain, de convaincre Lumumba
d’oublier l’option des armes pour mettre fin à l’autonomie créée par Kalonji. Le
président ghanéen avait-il prévu ce scénario ? Mobutu qui travaillait déjà avec
les assassins des services secrets français « La Main rouge », avait-il délibérément
orchestré cette tuerie pour saboter son chef ?
Des questions qui laissent le
champ à beaucoup d’interprétations…
À ces accusations, la réponse de Patrice Lumumba
est complexe, symbolique, voire poétique. Quelque temps après le massacre de
Bakwanga (ancienne Mbujimayi), Lumumba…danse dans un bar, suivi d’une meute de
journalistes.
En effet, le 1er premier ministre du
Congo esquisse des pas de rumba avec une certaine Hélène Bijou. Cette dernière
serait d’une beauté si précieuse qu’on la surnommait Bijou.
La scène semble banale, mais pour Anicet Kashamura,
porte-parole et ami de Patrice Lumumba, elle est tout sauf anodine. Dans son bouquin, De Lumumba aux colonels,
Kashamura avance qu’en dansant avec Hélène Bijou, une Lulua, Lumumba voulait
célébrer et se moquer de la fuite d’Albert Kalonji. Le but serait donc
politique, et renverrait au conflit Lulua-Baluba qui fît rage, et dont Kalonji
était un des principaux protagonistes.
Une autre hypothèse voudrait que Lumumba
souhaitait exprimer à la presse internationale qu’il était au-dessus des
guerres fratricides des ethnies congolaises. Qu’il savait trop bien que c’est
eux, les colons, qui avaient monté cette tension entre Lulua et Baluba.
Toutes ces interrogations autour de ce moment
entre Lumumba et Hélène Bijou ont continué à persister. Dans sa pièce de théâtre
« Une saison au Congo », Aimé Césaire reprend la scène. L’écrivain martiniquais
présente un Lumumba sentant sa vie s’écourter. Il veut d’Hélène Bijou qu’elle «
danse sa vie » et qu’elle continue à être belle quand il ne sera plus de ce
monde.
Bien que bouleversant l’ordre chronologique, Raoul
Peck reprend aussi la partie de cette danse dans son film Lumumba.
Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a toujours pas
beaucoup d’informations sur cette Hélène Bijou, son nom de famille est toujours
ignoré, comme si elle était volontairement passée entre les mailles du filet de
l’histoire.
Toujours dans le livre De Lumumba aux colonels,
Anicet Kashamura affirme qu’elle présidait un « comité de vigilance », exclusivement
composé de femmes, pour protéger la sécurité de Patrice Lumumba dans les jours précédents
sa fameuse fuite vers l’Est du pays et sa mort.
Ce que l’on sait cependant est qu’elle était une
de ces « femmes libres » fréquentant les bars de Léopoldville. Et qu’aux yeux
du monde, Hélène Bijou a été la dernière danse de Patrice Lumumba.
Mayamba Luboya
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