À quoi sert l’histoire ? Question anodine,
mais pas si simple à développer.
Au siècle dernier, l’écrivain George
Santayana nous avertissait que « ceux qui ne peuvent se souvenir de leur passé
sont condamnés à le répéter ».
Plus récemment, le grand savant
congolais Théophile Obenga en rajoutait en disant : « il faut avoir
peur de l’histoire », toutefois le célèbre polymathe ne parlait pas ici de la peur
qui paralyse, bien au contraire, mais celle qui protège, celle qui permet de
voir le danger de loin.
L’histoire n’échappe pas à notre hommerie,
elle est politisée, influencée pour tel ou tel dessein. Dans les sociétés où la
parole était sacrée, l’écrit n’était pas forcément le véhicule par excellence
pour transporter l’histoire. Par la mémoire familiale et clanique, par les
chants folkloriques, l’histoire arrivait à destination sans grande égratignure.
Cette histoire portée par la voix des anonymes, longtemps stationnée dans les
secrets des murs, c’est celle de plusieurs hommes et femmes qui ont participé à
la vie politique, économique, artistique, et autres, de la République
démocratique du Congo. C’est le cas de Crispin-Pierre Luboya Musungayi, cerveau moteur
derrière le 1er premier ministre de la 2e république de
la jeune nation congolaise, le général Léonard Mulamba.
En pleine période coloniale, c’est tout
d’abord à l’INEAC (Institut National pour l’Étude Agronomique du
Congo ), que le jeune Crispin-Pierre Luboya commence sa carrière professionnelle.
Le diplômé d’agronomie y rentre comme simple employé. Sa grande performance est
vite remarquée par les colons belges chargés de superviser la société d’État. Rapidement,
il est catapulté au sommet de l’organisation en tant que Directeur.
Après l’indépendance, au début des années 60, à la mi-trentaine, il fait la rencontre du colonel Léonard
Mulamba. Ce dernier est alors hospitalisé après avoir été légèrement blessé sur
le terrain des opérations.
De là naît une forte amitié et un
respect mutuel : Luboya frappé par la vaillance du jeune militaire, et celui-ci,
admiratif de la vivacité d’esprit de son nouvel ami. D’ailleurs, un des fils de
Crispin-Pierre Luboya né quelques années après cette rencontre sera nommé Léonard
Mulamba Luboya.
Un duo-choc et complémentaire :
Mulamba, l’homme de terrain et meneur d’hommes au champ de bataille. Luboya, l’intellectuel
de haut vol, dont la légende dit qu’il écrivait en dormant…
Vite, les choses s’accélèrent. Le
24 novembre 1965, Mobutu prend le pouvoir par la force. Un Mobutu timoré, encadré
par les Américains, a besoin d’un homme fort qui aura le contrôle de l’armée
comme premier ministre. Le colonel Mulamba est tout désigné pour le job :
il tient l’armée, est républicain et aimé de tous les corps habillés. Il est officiellement
nommé premier ministre ce même jour.
À son tour, le nouveau premier ministre,
a lui, besoin d’un homme d’esprit. Il nommera alors Crispin-Pierre Luboya comme
son secrétaire particulier, vieille appellation pour conseiller spécial. Dans
la foulée, il lui offre aussi le fauteuil de directeur de cabinet.
À la tête du bureau de la primature,
Luboya met la machine en marche : il organise l’institution, distribue les
postes, et écrit plusieurs discours du premier ministre.
Mais, les raisons pour lesquelles
Mobutu a choisi Mulamba comme premier ministre sont aussi celles qui commencent
à lui faire craindre le personnage. La popularité du Colonel, devenu général
entre-temps, agace le dictateur. C’est qu’à l’est du Congo particulièrement, où
le Général Mulamba est élevé au rang de héros après sa victoire sur la rébellion,
on le surnomme « l’homme de Bukavu ».
La méfiance de Mobutu s’intensifie surement
lorsque ses conseillers américains, la CIA, l’avisent que son premier ministre
encombrant dont la notoriété ne cesse de croître, rajouté à l’aide de son fameux
conseiller spécial aux milles idées, représentent une menace réelle au pouvoir
de leur poulain.
Ainsi, à peine 11 mois après l’avoir
ordonné premier ministre, Mobutu se débarrasse du Général en le nommant
ambassadeur du Congo en Inde. Crispin-Pierre Luboya est du voyage où il est consacré
2e personnalité de l’ambassade. Il occupera la même fonction à l’ambassade
du Japon.
Mais, des années après, le pouvoir
de Kinshasa aura finalement raison du redoutable conseiller de l’ombre. Luboya
est licencié de son poste de diplomate, et prié de regagner le Congo, car ses
immunités seront levées dans un délai extrêmement court.
De retour au pays, il ne sera plus jamais
dans la politique active.
L’ironie de l’histoire est que cet homme
de lettres, qui a tant prêté sa plume aux autres, n’a jamais rédigé ses mémoires. Ces dernières
vivent dans les souvenirs de ceux et celles qui l’ont côtoyé. Leurs témoignages,
leurs anecdotes, constituant une sorte de page Wikipédia de la tradition
orale.
Bonne fête de l’indépendance du
Congo 2020
Mayamba Luboya
Repose en paix au grand homme Crispin-pierre Luboya
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