dimanche 20 novembre 2022

Kalala, un nom qui lui allait si bien

Kalala Omotunde

Le 14 novembre dernier, un séisme a secoué le monde kamite et panafricain : le très estimé professeur Omotunde nous a quittés.

Né Jean-Philippe Corvo, devenu Nioussiérê Kalala Omotunde après un long voyage intérieur, le "très cher" est parti honorer une citation à comparaitre au tribunal d’Osiris.



Il n’y a qu’un Esprit saint qui ait pu guider Jean-Philippe à convertir son prénom pour Kalala. Car, l’âme de ce nom luba est intimement liée à la personnalité que fût l’illustre disparu. Comme si ce prénom l’attendait au carrefour de sa marche vers une déconstruction totale des mensonges historiques.

Un dicton en lingala ne dit-il pas "kombo elandaka" ce qui signifie " le nom suit" : une formule concise et imagée qui résume assez bien ce qu’est la psychologie des prénoms.

En effet, en ciluba, Kalala signifie "celui qui a de la valeur", "le valeureux" (1).

À la base, ce n’était pas un nom commun, mais un titre donné au 1er guerrier du royaume (2).

Dans le dictionnaire français-tshiluba, Kalala est défini comme " sous-chef de guerre, vice-ministre de la défense" (3).

Ce nom est donc profondément associé à la notion de défense, de préservation.  

Dans l’actuelle organisation des sociétés, le Kalala serait ainsi l’équivalent du chef de la garde républicaine. Il est celui qui permet au chef de l’État de dormir sur ses 2 oreilles. Il est en quelque sorte la colonne vertébrale du pouvoir, car si le Kalala tombe, le chef tombe, si le chef tombe, le pays tombe. Être un Kalala c’est donc être un gardien du temple, un rempart de la tradition, un protecteur du corps, ce dernier autant physique que spirituel. D’ailleurs, l’ancien garde du corps du leader congolais Étienne Tshisekedi s’appelait Kalala.

Un Kalala doit donc avoir beaucoup d’humilité, car seule une grande modestie permet à un homme fort de respecter la hiérarchie, de résister au syndrome d’Iznogoud.

Dans cet univers de gros egos qu’est le monde kamite et panafricain, il fallait toute l’abnégation d’un Kalala pour rester au-dessus de la mêlée et éviter les palabres futiles qui fragilisent le mouvement.

Kalala Omotunde a effectué un travail colossal de son vivant, il a corrigé le tir d’un prénom donné à la naissance qui ne lui correspondait plus, et a honoré son 2e prénom de renaissance par ses actions.

 

Que la terre lui soit légère.

 

Mayamba Wa Luboya  

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(1 )   Remi Biakabutuka, « Les noms lubaphones », 2004, p. 125.

(2 )   Idem

(3 )   Mathieu Kayoka Mudingay, « Dictionnaire Français-Tshiluba, 3e édition », 2011, p. 92.

 

Autres sources :

Kizito J. Kalala, « Ciluba, s’initier à la langue », 2019, 147 p. 


jeudi 30 juin 2022

Donner aux Congolais leurs fleurs


500 ans de résistance

Il y a exactement 516 ans avait lieu une des luttes fratricides les plus célèbres de l’histoire du Congo. Ce jour-là de 1506 à Mbanza Kongo, capitale du Royaume Kongo, s’entredéchiraient les frères Nzinga Mbemba et Mpanzu a Nzinga pour le poste de Mani a Kongo laissé vacant par le décès de leur père. Ce dernier, le chef Nzinga Nkuwu, avait flirté avec le christianisme apporté par les Portugais à la fin du 15e siècle, avant de s’en détacher, de retourner aux traditions Kongos et de demander aux missionnaires de rentrer gentiment chez eux.

Jusque-là, la relation entre les deux états était cordiale avec une immigration assez active des deux côtés. Pérégrination qui a laissé des traces indélébiles dans la linguistique. En effet, jusqu’à aujourd’hui dans les langues congolaises dont le kikongo et le lingala, l’on désigne l’occident par "poto" (et/ou mputu) : diminutif de Portugal et déformation de porto, car la lettre r n’existe pas dans l’alphabet de ces peuples.

Mais, la rétractation du Patriarche Nzinga Nkuwu sur la religion chrétienne et ses missionnaires était trop peu trop tard pour son fils Nzinga Mbemba : il eut un choc esthétique en lisant les écritures, en plus d’être séduit par la langue portugaise et de l’adopter. Mbemba était sans nul doute le néophyte le plus zélé de ce début de 16e siècle en terre africaine. Quant au fils Mpanzu, il était demeuré très ancré dans les traditions ancestrales.

Il y avait donc deux visions du monde qui s’opposait. Ce qui devait arriver arriva : un conflit sanglant entre les deux frères pour la prise du fauteuil. Appuyé par la puissance de feu du Portugal, Mbemba remporta la bataille sur son frère Mpanzu, et dirigea le Royaume durant une trentaine d’années. Il ne le savait pas à l’époque, mais il devenait l’ancêtre de Mobutu : il était le premier d’une longue lignée de dirigeants congolais qui ne jureraient que pour et par l’appui d’une grande puissance occidentale pour accéder au pouvoir.

Le règne de Mbemba fut catastrophique, fortement marqué par des kidnappings de jeunes et moins jeunes Kongos amenés par bateau comme de la marchandise pour servir d’esclaves majoritairement au Portugal et au Brésil.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, cette agression à elle seule aurait pu vider le royaume Kongo ou faire de lui le tapis du monde, mais c’était mal connaitre les ancêtres des Congolais…

Un siècle plus tard, en 1665, les agresseurs se sont multipliés et diversifiés. La guerre éclate et l’armée est redynamisée pour combattre les envahisseurs. Malheureusement, elle perd le combat, et la tête du Mani a Kongo est coupée et trainée dans la ville pour traumatiser le peuple et démoraliser les combattants.

Mais, découragement n’est pas congolais : le début du 18e siècle voit l’émergence de Kimpa Vita, une jeune révolutionnaire mystique. Elle redonne du courage au peuple pour se libérer par l’autodétermination et la confiance en soi. Kimpa Vita fit quelque chose de très intéressant sur le plan spirituel : elle associa les traditions ancestrales à la religion chrétienne, confession devenue dominante dans le royaume. Par ce procédé, elle fut en mesure de ratisser large et de contourner le débat religieux. Elle est elle aussi assassinée en 1706.

En novembre 1884, un conglomérat de grandes puissances se réunit en Allemagne pour s’organiser en système autour des terres africaines, les territoires aux embouchures du fleuve Congo sont à l’honneur pour les mauvaises raisons, ce sera le début des travaux de la fameuse conférence de Berlin. Des royaumes sont pris, annexés, et réunis sous les frontières de la RDC que nous connaissons actuellement. Le Congo de Léopold II est né, et sa vocation suprême inavouée est d’être une usine humaine à ciel ouvert pour les pays dits riches et leurs multinationales.

Mais là encore, c’était mal connaitre les Congolais…

En deux temps trois mouvements, les offensives de résistances s’enchaînent les unes après les autres. La Belgique perd énormément d’hommes sur le terrain des affrontements, mais Léopold II reste très flou sur les chiffres pour ne pas provoquer un tollé au parlement belge. Une chose était cependant claire : les Congolais n’allaient pas se laisser faire. Certains peuples comme les Tshokwes vont lutter intensément sur vingt longues années avant d’être obligés de déposer les armes, les yakas (bayaka) se battront pendant dix ans et la guérilla des chefs Kandolo, Yamba-Yamba et Kimpuki durera treize ans.

Lorsqu’arrive finalement l’indépendance le 30 juin 1960, plusieurs voient cela comme un "test de maturation" pour les Congolais. Ces observateurs pensent qu'ils échoueront lamentablement. Encore une fois, les prophètes de malheur seront déboutés. Non seulement les Congolais font preuve d’un vivre ensemble exemplaire, mais en plus, tous ces différents groupes linguistiques acceptent d’utiliser le lingala, langue d’un clan parmi tant d’autres, comme leur lingua franca. Cette position linguistique est plus que louable et peut servir de modèle mondial. Elle contourne ainsi une pratique courante en Afrique où souvent personne ne veut parler la langue de l’autre, alors tout le monde communique dans la langue coloniale, cette dernière faisant office de langue tutélaire plus d’un demi-siècle après les indépendances.

 

Assumer son rôle stratégique

De Frantz Fanon à Che Guevara, tous les grands penseurs de la moitié du 20e siècle qui ont phosphoré sur la question africaine arrivent à la même conclusion : du Congo partira la libération de l’Afrique et la mise en terre de l’impérialisme. Ce n’est pas de la flatterie envers les habitants du Congo, mais une froide analyse géostratégique. Ernesto Guevara était prêt au sacrifice suprême pour le Congo. En 1965, par la frontière tanzanienne, il rejoignit l’est du Congo accompagné d’un petit groupe de 13 Afro-Cubains, pour prêter main-forte aux rebelles lumumbistes avec la ferme volonté d’en découdre une fois pour toutes avec le néo-colonialisme en Afrique.

Le Che n’était pas le seul étranger à avoir rêvé d’un Congo grand et réellement indépendant. Avant lui, des Camerounais, Sénégalais, Ghanéens et autres anonymes ont été des chevilles ouvrières pour arriver aux célébrations du 30 juin 1960.

Les Congolais doivent se rappeler de cela et comprendre que l’aboutissement de l’indépendance du Congo a été une des œuvres panafricaine les plus réussites au monde.

En comprenant ce rôle essentiel de plaque tournante, les Congolais ne doivent pas se renfermer dans un entre-soi, mais laisser un espace pour les vrais amis du Congo.

Le peuple congolais n’a donc pas à s’embarrasser devant sa situation actuelle qui est difficile. Il subit l’une des agressions expansionnistes des plus longues et sanguinaires de l’histoire.

Mais, croire qu’ils vont se laisser faire serait mal connaitre les Congolais…

 

 

Joyeux 62e anniversaire de l’indépendance !

Mayamba Wa Luboya



*Crédit image : 

<a href="https://fr.freepik.com/photos/continent-africain">Continent africain photo créé par Allexxandar - fr.freepik.com</a>

dimanche 27 mars 2022

Fimbu : pourquoi les Léopards doivent absolument changer de slogan

Nous sommes à l’heure des qualifications pour le mondial de football 2022. Pour l’équipe les Léopards de la RDC, la passion des supporteurs est à son comble. Entre cris de ralliement, chants de stades et hymnes fétichistes, un mot revient souvent : fimbu.

Fimbu, qui signifie chicotte en lingala, est devenue l’expression omniprésente sur le terrain et dans les estrades à Kinshasa. Le terme a d’abord été popularisé par le chanteur Félix Wazekwa dans un titre homonyme qui sert de musique officielle pour le onze congolais. La chanson fimbu est aussi accompagnée d’une danse qui est une mimique d’un coup de fouet. C’est ce geste que font les joueurs congolais pour célébrer un but ou une victoire. L’idée derrière le concept est d’avertir l’adversaire que les léopards fouettent leurs rivaux et que tous ceux qui se dresseront sur leur route seront chicotés.

Tout cela serait beau si le "fimbu" n’était pas associé à une des périodes les plus sombres de l’histoire du Congo. En effet, si la chicotte est dans l’esprit des Congolais aujourd’hui, c'est parce qu'il n’y a pas si longtemps leurs grands-parents l’ont vécu dans leurs chairs.

Tout commence en 1890, cette année-là en Irlande, John Dunloop, à travers sa compagnie qui porte son patronyme, se lance dans la fabrication de pneus en caoutchouc. Cette idée va révolutionner l’industrie du vélo et celle de l’automobile. Des sociétés comme Goodyear, Michelin et autres sont dans la conception de pneumatique. Il y a alors une course mondiale au caoutchouc, et le Congo en regorge. À cette époque l’espace congolais est la "propriété privée" de Léopold II, Roi des Belges. Léopold II plonge tête première dans cette ruée vers le caoutchouc et il est extrêmement pressé, car il voit arriver la compétition du caoutchouc d’Amérique latine et de l’Asie. Le Roi des Belges ordonne ainsi à ses agents au Congo d’obliger les captifs congolais à accélérer la cadence de travail par tous les moyens nécessaires.

La chicotte devient l’ordre sur le chantier. Les hommes qui ne ramènent pas assez de caoutchouc sont chicotés et on va même jusqu’à kidnapper leurs femmes comme moyen de pression. Les plus récalcitrants sont simplement assassinés et coupés la main comme preuve et trophée.

C’est par ce régime de "fimbu" que le caoutchouc devient la principale source de revenu de Léopold II et que des entreprises, aujourd’hui multinationales, prennent leur envol. 

Ainsi, contrairement à la croyance populaire les châtiments corporels dans l’éducation des enfants ne font pas partie des traditions congolaises.

Par traumatisme, la famille congolaise est devenue le prolongement du système colonial. La majorité des caractéristiques du colonialisme y sont recopiées : le père remplace le colon (froid, distant et méchant), le privilège des membres plus claires de peaux, et la fameuse chicotte dans toutes les maisons comme elle était dans tous les bureaux des administrateurs coloniaux. 

La nouvelle génération de Congolais doit combattre le syndrome de Stockholm et comprendre que la chicotte est un produit importé. Chanter et danser "fimbu" est une honte nationale et une insulte à nos ancêtres.

C’est comme si aujourd’hui, des juifs feraient d’un instrument de torture durant l’holocauste, le principal slogan de leur équipe nationale de football. 

 

 

 

Mayamba Wa Luboya

lundi 3 mai 2021

L’origine Kongo du tango


Vous avez sûrement déjà entendu parler du tango, cette danse à deux ou quatre temps, improvisée ou chorégraphiée, selon les tendances.

 La littérature dominante nous dit qu’elle est née en Argentine vers 1880 dans les quartiers chauds de Buenos Aires. La danse a pris une    « cure de noblesse » au début du 20e siècle en étant acceptée par la classe bourgeoise argentine et après un passage dans les adresses huppées de Paris.

Le tango, nous disent donc plusieurs spécialistes de la question, est un enfant argentin tirant légèrement son influence, du moins sa structure rythmique, de la habanera de Cuba.

Le hic est que le mot tango n’existe pas dans le lexique espagnol.

Pour pallier ce vide, un débat étymologique assez amusant a pris forme. Dans ce palabre, la surenchère des hypothèses étonne. En effet, une liste d’auteurs, d’historiens, de musicologues avance des affirmations assez insolites. Il y a les plus créatifs pour qui le tango viendrait d’un vocable japonais, car il serait l’homonyme d’une ville, une région et une fête nationale au pays du Soleil-levant.

Il y a les nostalgiques qui veulent, mordicus, ressusciter le latin en soutenant que tango viendrait de cette langue morte où le verbe tangere signifie toucher, et dont tango voudrait littéralement dire : je touche.

Mais la palme revient sans équivoque aux plus aventuriers, selon eux, tango viendrait de Tang-Ho, une région d’Indochine d’où auraient fuient les Tsiganes et autres peuples nomades pour immigrer en Europe après avoir été chassé de l’Inde par les invasions turques et mongoles…

Curieusement, ces auteurs ne questionnent pas les langues africaines. Et pourtant, déjà au début du 19e siècle à Buenos Aires, on appelait tango les maisons où les noirs organisaient leurs fêtes.

La vérité est que tango vient du kikongo. En effet, en kikongo et en lingala, tango signifie le temps. Tango s’écrit aussi ntango et ntangu et dans la plupart des langues congolaises le o & u sont interchangeables pour la majorité des mots.

Plus que le simple mot, la danse même vient du patrimoine culturel Kongo.

En effet, tout commence en 1719, cette année-là 450 Africains sont traînés de force en Louisiane pour y subir l’esclavage. Néanmoins, les autorités décrètent le dimanche comme un jour férié pour ces esclaves. Pour profiter de leur congé, ils vont dans un espace pour chanter et danser.

Cet espace sera plus tard baptisé comme étant le fameux Congo Square de La Nouvelle-Orléans (la Place Congo).

Place Congo, parce que la majorité des esclaves viennent du Royaume Kongo, même s’il y a aussi des Wolofs, des Bambaras, des Fulanis, d’autres peuples non archivés, et plus tard, des Haïtiens. Mais, Congo aussi parce que tous les esclaves étaient appelés kongos dans un processus raciste de stéréotypisation.

C’est dans cette Place Congo que ces hommes et femmes noirs se mettent à pratiquer plusieurs danses amenées de leur terre mère. La culture Kongolaise s’impose vu qu’elle était celle de la majorité. C’est donc à cette période, dans ce petit carré, que l’on répertorie pour la première fois la danse du tango en occident.

C’était un jour de 1786, un évêque du nom de Cyrillo de Barcelona formule une plainte au sujet des noirs qui dansent sur la Place Congo à l’heure de son culte. En réponse à cette protestation, le gouverneur, un certain Esteban Miró confirme qu’il va interdire « los tangos, o bailes de negros » (les tangos ou danses des noirs).

L’empire espagnol qui détient les territoires de l’Argentine et de Cuba à cette époque va aussi être propriétaire de la Louisiane de 1766 à 1800, soit à la même période du développement de la Place Congo.

À la fin du 18e siècle, plusieurs colons quittent Saint-Domingue (ancienne Haïti) pour échapper à la révolution qui mènera à l’indépendance d’Haïti. Dans cette fuite, ces colons partent avec leurs esclaves pour s’installer à Cuba. C’est à Cuba que ces esclaves venant de Saint-Domingue produisent des tangos. Les Cubains de l’époque apprécient tellement la danse qu’il se l’approprie et la nomme habanera, qui signifie, « de La Havane ».

C’est cette habanera ensuite transportée à Buenos Aires et la présence des Africains venant de Cuba qui est à la source de que l’on appelle aujourd’hui, le « tango argentin ».

C’est aussi grâce à la présence de la danse à Saint-Domingue et à Cuba que l’on sait que le tango était connu de tous les kongos, et n’a donc pas été inventé qu’une fois en esclavage en Louisiane.

Ce qui est encore plus surprenant est que ces esclaves sont les parents de la tangothérapie. En effet, de récentes études en psychanalyses prouvent les potentialités psychothérapeutiques du tango.

De là où il est, l’évêque Cyrillo de Barcelona sait maintenant pourquoi ces hommes et femmes africains dansaient le tango sur la Place Congo au lieu d’assister à sa messe…

 

 

Mayamba Wa Luboya

 

Sources :

Congo Square, racines africaines de La Nouvelle-Orléans

Paris, Buenos Aires : un siècle de tango

Tango dico : Dictionnaire voyageur et initiatique du tango

Tango argentin et psychanalyse

 

Voir aussi :

Le documentaire tango negro du réalisateur angolais Dom Pedro

jeudi 18 février 2021

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Mayamba Luboya 

mardi 30 juin 2020

Crispin-Pierre Luboya ou l’éminence grise

 À quoi sert l’histoire ? Question anodine, mais pas si simple à développer.

Au siècle dernier, l’écrivain George Santayana nous avertissait que « ceux qui ne peuvent se souvenir de leur passé sont condamnés à le répéter ».

Plus récemment, le grand savant congolais Théophile Obenga en rajoutait en disant : « il faut avoir peur de l’histoire », toutefois le célèbre polymathe ne parlait pas ici de la peur qui paralyse, bien au contraire, mais celle qui protège, celle qui permet de voir le danger de loin.

L’histoire n’échappe pas à notre hommerie, elle est politisée, influencée pour tel ou tel dessein. Dans les sociétés où la parole était sacrée, l’écrit n’était pas forcément le véhicule par excellence pour transporter l’histoire. Par la mémoire familiale et clanique, par les chants folkloriques, l’histoire arrivait à destination sans grande égratignure. Cette histoire portée par la voix des anonymes, longtemps stationnée dans les secrets des murs, c’est celle de plusieurs hommes et femmes qui ont participé à la vie politique, économique, artistique, et autres, de la République démocratique du Congo. C’est le cas de Crispin-Pierre Luboya Musungayi, cerveau moteur derrière le 1er premier ministre de la 2e république de la jeune nation congolaise, le général Léonard Mulamba.

En pleine période coloniale, c’est tout d’abord à l’INEAC (Institut National pour l’Étude Agronomique du Congo ), que le jeune Crispin-Pierre Luboya commence sa carrière professionnelle. Le diplômé d’agronomie y rentre comme simple employé. Sa grande performance est vite remarquée par les colons belges chargés de superviser la société d’État. Rapidement, il est catapulté au sommet de l’organisation en tant que Directeur.

Après l’indépendance, au début des années 60, à la mi-trentaine, il fait la rencontre du colonel Léonard Mulamba. Ce dernier est alors hospitalisé après avoir été légèrement blessé sur le terrain des opérations.

De là naît une forte amitié et un respect mutuel : Luboya frappé par la vaillance du jeune militaire, et celui-ci, admiratif de la vivacité d’esprit de son nouvel ami. D’ailleurs, un des fils de Crispin-Pierre Luboya né quelques années après cette rencontre sera nommé Léonard Mulamba Luboya.

Un duo-choc et complémentaire : Mulamba, l’homme de terrain et meneur d’hommes au champ de bataille. Luboya, l’intellectuel de haut vol, dont la légende dit qu’il écrivait en dormant…

Vite, les choses s’accélèrent. Le 24 novembre 1965, Mobutu prend le pouvoir par la force. Un Mobutu timoré, encadré par les Américains, a besoin d’un homme fort qui aura le contrôle de l’armée comme premier ministre. Le colonel Mulamba est tout désigné pour le job : il tient l’armée, est républicain et aimé de tous les corps habillés. Il est officiellement nommé premier ministre ce même jour.

À son tour, le nouveau premier ministre, a lui, besoin d’un homme d’esprit. Il nommera alors Crispin-Pierre Luboya comme son secrétaire particulier, vieille appellation pour conseiller spécial. Dans la foulée, il lui offre aussi le fauteuil de directeur de cabinet.

À la tête du bureau de la primature, Luboya met la machine en marche : il organise l’institution, distribue les postes, et écrit plusieurs discours du premier ministre.

Mais, les raisons pour lesquelles Mobutu a choisi Mulamba comme premier ministre sont aussi celles qui commencent à lui faire craindre le personnage. La popularité du Colonel, devenu général entre-temps, agace le dictateur. C’est qu’à l’est du Congo particulièrement, où le Général Mulamba est élevé au rang de héros après sa victoire sur la rébellion, on le surnomme « l’homme de Bukavu ».

La méfiance de Mobutu s’intensifie surement lorsque ses conseillers américains, la CIA, l’avisent que son premier ministre encombrant dont la notoriété ne cesse de croître, rajouté à l’aide de son fameux conseiller spécial aux milles idées, représentent une menace réelle au pouvoir de leur poulain.

Ainsi, à peine 11 mois après l’avoir ordonné premier ministre, Mobutu se débarrasse du Général en le nommant ambassadeur du Congo en Inde. Crispin-Pierre Luboya est du voyage où il est consacré 2e personnalité de l’ambassade. Il occupera la même fonction à l’ambassade du Japon.

Mais, des années après, le pouvoir de Kinshasa aura finalement raison du redoutable conseiller de l’ombre. Luboya est licencié de son poste de diplomate, et prié de regagner le Congo, car ses immunités seront levées dans un délai extrêmement court.  

De retour au pays, il ne sera plus jamais dans la politique active.

L’ironie de l’histoire est que cet homme de lettres, qui a tant prêté sa plume aux autres, n’a jamais rédigé ses mémoires. Ces dernières vivent dans les souvenirs de ceux et celles qui l’ont côtoyé. Leurs témoignages, leurs anecdotes, constituant une sorte de page Wikipédia de la tradition orale.


Bonne fête de l’indépendance du Congo 2020

Mayamba Luboya 

jeudi 5 mars 2020

Hugo au pays sans chapeau

Hugo Chavez
C’était il y a exactement 7 ans. Au petit écran apparaissait le grand Nicolas Maduro. En sanglots, le meilleur élève du maître Chavez annonçait aux Vénézuéliens «l’information la plus dure et tragique que nous pouvons transmettre à notre peuple». 
Hugo était parti là d’où on ne revient pas, il s’était exilé au pays sans chapeau. 


C’était la fin d’une vie de lutte. Le terminus d’un petit métis timide du Llanos devenu une grande gueule internationale. C’est qu’il parlait Hugo, il parlait beaucoup et sans filtre. Comme s’il voulait prendre une revanche sur ces années d’enfance taciturnes. Car oui, ce n’est qu’à l’adolescence, en jouant les animateurs aux concours de Miss qu’il a vaincu cette grande timidité qui l’empêchait de devenir la bête politique à laquelle son destin avait donné rendez-vous.

Hugo parlait avec la légèreté de son cœur. Pratiquant son devoir d’utopie, nécessité de tout dirigeant, il faisait rêver un peuple abonné aux aventures cauchemardesques. Hugo avait le duende, ce don de la parole qui dirige les mots non pas aux oreilles, mais au tréfonds de l’âme. Transporté par les livres, ceux d’un haut niveau de littératie, il avouera lui-même en clamant «
l’histoire m’a emporté».

Car, les livres sont un baptême de feu par lequel l’esprit ne peut garder les mêmes propriétés après avoir été frappé par une œuvre littéraire majeure. Chaque page tournée taclant vos convictions, étalant votre ignorance.

Tout ce savoir accumulé, c’est en connaissance de cause qu’il prit une approche Sankarienne en privant le champagne à certains afin que tous boivent de l’eau potable.

À peine son corps refroidi que les champions de la calomnie se mirent à l’œuvre pour détruire son image. Dictateur, gorille, inculte, il fallait profiter de son silence éternel pour faire entendre les hurlements de ses vociférateurs.

Mais, paradoxalement, Chavez est peut-être le plus sérieux obstacle à la pérennité du Chavisme. Sa personnalité omniprésente, sa posture d’homme providentiel rendent très boiteuse la longue marche du Chavisme sans son turbulent en chef.

La grande faucheuse étant passée, ils devront se débrouiller sans Hugo. De toute façon, il est sûrement occupé à lire la constitucion, là-bas 
où il a dû retirer son inséparable béret rouge, au pays sans chapeau. 


Mayamba Wa Luboya 


*
Le Pays sans chapeau est une expression haïtienne qui désigne l’au-delà en Haïti, parce que personne n’a jamais été enterré avec son chapeau.

Kalala, un nom qui lui allait si bien