C’était en
1995, un vent de frénésie soufflait sur le Québec. Les Québécois avaient
rendez-vous avec leur destin. Le genre de rencontre qu'on ne peut se
permettre de manquer ou même d’arriver en retard. Il s’agissait de la tenue du
deuxième référendum de la belle province. L’organisation était complexe mais la
thématique simple ; oui ou non à l’indépendance du Québec ?
Il y avait deux
camps ; celui du oui et celui du non. Je me souviens très bien du leader du oui.
C’était un monsieur avec une grosse moustache, ce « Monsieur », il s’appelait
Jacques Parizeau.
Moi j’avais 12
ans. En provenance du Congo, j’étais arrivé à Montréal 3 ans plus tôt avec mes
frères et sœurs et mes parents. Nous habitions Montréal-Nord, un quartier «
chaud » et multiethnique. Là-bas, une folle rumeur courait les rues, du moins
dans mon réseau social. Au parc Carignan où on s’amusait après l’école, mes
amis Haïtien et Marocain me rapportèrent le fameux racontar. Il paraîtrait que
si ‘’les oui’’ l’emportent, nous les immigrants, seront expulsés en Ontario. En
effet, comme nous étions des citoyens-canadiens et non des citoyens-québécois,
nous serions de facto en situation d’irrégularité
dans ce nouveau pays et devrions dans un bref délai plier bagages vers le
Canada.
Du haut de mes
12 ans, il n’en fallait pas plus pour m’affoler. En plus, si mes bons amis
Sacha et Imad le disaient c’est que c’était vrai. Je regrettais de ne pas avoir
l’âge l’égale pour voter. J’aurai inscrit un gros NON sur mon bulletin de vote
pour contrer les plans de ce méchant monsieur.
Le moment de vérité
30 octobre 1995
au soir, c’est le moment de vérité ! Après des heures de suspenses et de sueurs
froides, la question est réglée. Le NON l’emporte par des poussières. Ouf ! On
n’aura pas besoin de déménager, me dis-je.
Fixé sur ma
télévision, je suis assis sur le sofa dans le salon quand un monsieur apparait
à l’écran pour faire son discours. Il n’a pas gagné mais doit se montrer bon
joueur, et surtout, remercier et rassurer ses électeurs. C’est encore le même
monsieur moustachu, Jacques Parizeau.
Avec l’assistance,
il entonne un ‘’ Oui Oui Oui Oui !!! ‘’. Et là, il s’arrête, se courbe vers le
micro et dit ; « c’est vrai qu’on a été battus, mais au fond par quoi ? ..par l’argent
pis des votes ethniques...essentiellement
». Wow !! Sacha et Imad avaient raison, ce monsieur-là n’aime vraiment pas les
immigrants.
Dans les mois qui
ont suivis, M. Parizeau a abandonné la politique active, se faisant plus
discret et animant des conférences dans des Universités. Moi, je suis rentré au
secondaire.
Parizeau et moi
Les années ont
passés. En grandissant, pour comprendre ma société d’accueil, je me suis mis à
lire à son sujet. Des lectures sur Papineau et les patriotes, sur Chrétien et
les libéraux, et aussi sur..Jacques Parizeau. À ma grande surprise, j’ai appris
qu’il a été marié à une immigrante, Alice Poznańska, une écrivaine d’origine
polonaise. J’ai su que son conseiller le soir du référendum, un certain Jean-François
Lisée, lui avait écrit un beau discours qui voyait le verre à moitié plein. Mais
que Parizeau, sous le coup de l’émotion, a improvisé cette phrase assassine que
tout le monde connait au Québec.
Il y a quelques
mois, 20 ans après mon premier contact sur qui était Jacques Parizeau, j’ai
entendu une autre rumeur sur l’intéressé. Il paraîtrait qu’il serait
hospitalisé. Plus sage, je n’ai pas prêté attention au ouï-dire.
Ce matin, fixé sur
ma télévision, je suis assis sur le sofa dans le salon quand un monsieur apparaît à l’écran pour annoncer les nouvelles. On parlait encore du Monsieur à
la grosse moustache, mais cette fois ce n’était pas une rumeur.
Jacques
Parizeau est mort. Moi je lui ai dédié une chronique.
Guy-Serge
Luboya
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