500 ans de résistance
Il y a exactement 516 ans avait lieu une des luttes fratricides les plus
célèbres de l’histoire du Congo. Ce jour-là de 1506 à Mbanza Kongo, capitale du
Royaume Kongo, s’entredéchiraient les frères Nzinga Mbemba et Mpanzu a Nzinga
pour le poste de Mani a Kongo laissé vacant par le décès de leur père.
Ce dernier, le chef Nzinga Nkuwu, avait flirté avec le christianisme apporté
par les Portugais à la fin du 15e siècle, avant de s’en détacher, de retourner
aux traditions Kongos et de demander aux missionnaires de rentrer gentiment chez
eux.
Jusque-là, la relation entre les deux états était cordiale avec une
immigration assez active des deux côtés. Pérégrination qui a laissé des traces
indélébiles dans la linguistique. En effet, jusqu’à aujourd’hui dans les
langues congolaises dont le kikongo et le lingala, l’on désigne l’occident par
"poto" (et/ou mputu) : diminutif de Portugal et déformation de porto,
car la lettre r n’existe pas dans l’alphabet de ces peuples.
Mais, la rétractation du Patriarche Nzinga Nkuwu sur la religion chrétienne
et ses missionnaires était trop peu trop tard pour son fils Nzinga Mbemba :
il eut un choc esthétique en lisant les écritures, en plus d’être séduit par la
langue portugaise et de l’adopter. Mbemba était sans nul doute le néophyte le
plus zélé de ce début de 16e siècle en terre africaine. Quant au fils Mpanzu,
il était demeuré très ancré dans les traditions
ancestrales.
Il y avait donc deux visions du monde qui s’opposait. Ce qui devait
arriver arriva : un conflit sanglant entre les deux frères pour la prise
du fauteuil. Appuyé par la puissance de feu du Portugal, Mbemba remporta la
bataille sur son frère Mpanzu, et dirigea le Royaume durant une trentaine d’années.
Il ne le savait pas à l’époque, mais il devenait l’ancêtre de Mobutu : il
était le premier d’une longue lignée de dirigeants congolais qui ne jureraient que
pour et par l’appui d’une grande puissance occidentale pour accéder au
pouvoir.
Le règne de Mbemba fut catastrophique, fortement marqué par des kidnappings
de jeunes et moins jeunes Kongos amenés par bateau comme de la marchandise pour
servir d’esclaves majoritairement au Portugal et au Brésil.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, cette agression à elle seule aurait
pu vider le royaume Kongo ou faire de lui le tapis du monde, mais c’était mal
connaitre les ancêtres des Congolais…
Un siècle plus tard, en 1665, les agresseurs se sont multipliés et diversifiés.
La guerre éclate et l’armée est redynamisée pour combattre les envahisseurs. Malheureusement,
elle perd le combat, et la tête du Mani a Kongo est coupée et trainée dans la
ville pour traumatiser le peuple et démoraliser les combattants.
Mais, découragement n’est pas congolais : le début du 18e
siècle voit l’émergence de Kimpa Vita, une jeune révolutionnaire mystique.
Elle redonne du courage au peuple pour se libérer par l’autodétermination et la
confiance en soi. Kimpa Vita fit quelque chose de très intéressant sur le plan spirituel :
elle associa les traditions ancestrales à la religion chrétienne, confession devenue
dominante dans le royaume. Par ce procédé, elle fut en mesure de ratisser large
et de contourner le débat religieux. Elle est elle aussi assassinée en 1706.
En novembre 1884, un conglomérat de grandes puissances se réunit en Allemagne
pour s’organiser en système autour des terres africaines, les territoires aux embouchures
du fleuve Congo sont à l’honneur pour les mauvaises raisons, ce sera le début des travaux de la fameuse conférence de Berlin. Des royaumes sont pris,
annexés, et réunis sous les frontières de la RDC que nous connaissons
actuellement. Le Congo de Léopold II est né, et sa vocation suprême inavouée
est d’être une usine humaine à ciel ouvert pour les pays dits riches et leurs
multinationales.
Mais là encore, c’était mal connaitre les Congolais…
En deux temps trois mouvements, les offensives de résistances s’enchaînent
les unes après les autres. La Belgique perd énormément d’hommes sur le terrain
des affrontements, mais Léopold II reste très flou sur les chiffres pour
ne pas provoquer un tollé au parlement belge. Une chose était cependant claire :
les Congolais n’allaient pas se laisser faire. Certains peuples comme les Tshokwes
vont lutter intensément sur vingt longues années avant d’être obligés de
déposer les armes, les yakas (bayaka) se battront pendant dix ans et la guérilla
des chefs Kandolo, Yamba-Yamba et Kimpuki durera treize ans.
Lorsqu’arrive finalement l’indépendance le 30 juin 1960, plusieurs voient
cela comme un "test de maturation" pour les Congolais. Ces
observateurs pensent qu'ils échoueront lamentablement. Encore une
fois, les prophètes de malheur seront déboutés. Non seulement les Congolais
font preuve d’un vivre ensemble exemplaire, mais en plus, tous ces différents
groupes linguistiques acceptent d’utiliser le lingala, langue d’un clan parmi
tant d’autres, comme leur lingua franca. Cette position linguistique est plus
que louable et peut servir de modèle mondial. Elle contourne ainsi une pratique
courante en Afrique où souvent personne ne veut parler la langue de l’autre,
alors tout le monde communique dans la langue coloniale, cette dernière faisant
office de langue tutélaire plus d’un demi-siècle après les indépendances.
Assumer son rôle stratégique
De Frantz Fanon à Che Guevara, tous les grands penseurs de la moitié du
20e siècle qui ont phosphoré sur la question africaine arrivent à la
même conclusion : du Congo partira la libération de l’Afrique et la mise
en terre de l’impérialisme. Ce n’est pas de la flatterie envers les habitants
du Congo, mais une froide analyse géostratégique. Ernesto Guevara était prêt au
sacrifice suprême pour le Congo. En 1965, par la frontière tanzanienne, il rejoignit
l’est du Congo accompagné d’un petit groupe de 13 Afro-Cubains, pour prêter
main-forte aux rebelles lumumbistes avec la ferme volonté d’en découdre une
fois pour toutes avec le néo-colonialisme en Afrique.
Le Che n’était pas le seul étranger à avoir rêvé d’un Congo grand et
réellement indépendant. Avant lui, des Camerounais, Sénégalais, Ghanéens et
autres anonymes ont été des chevilles ouvrières pour arriver aux célébrations
du 30 juin 1960.
Les Congolais doivent se rappeler de cela et comprendre que
l’aboutissement de l’indépendance du Congo a été une des œuvres panafricaine les plus réussites au monde.
En comprenant ce rôle essentiel de plaque tournante, les Congolais ne
doivent pas se renfermer dans un entre-soi, mais laisser un espace pour les
vrais amis du Congo.
Le peuple congolais n’a donc pas à s’embarrasser devant sa situation
actuelle qui est difficile. Il subit l’une des agressions expansionnistes des
plus longues et sanguinaires de l’histoire.
Mais, croire qu’ils vont se laisser faire serait mal connaitre les
Congolais…
Joyeux 62e anniversaire de l’indépendance !
Mayamba Wa Luboya
*Crédit image :
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africain photo créé par Allexxandar - fr.freepik.com</a>