dimanche 20 novembre 2022

Kalala, un nom qui lui allait si bien

Kalala Omotunde

Le 14 novembre dernier, un séisme a secoué le monde kamite et panafricain : le très estimé professeur Omotunde nous a quittés.

Né Jean-Philippe Corvo, devenu Nioussiérê Kalala Omotunde après un long voyage intérieur, le "très cher" est parti honorer une citation à comparaitre au tribunal d’Osiris.



Il n’y a qu’un Esprit saint qui ait pu guider Jean-Philippe à convertir son prénom pour Kalala. Car, l’âme de ce nom luba est intimement liée à la personnalité que fût l’illustre disparu. Comme si ce prénom l’attendait au carrefour de sa marche vers une déconstruction totale des mensonges historiques.

Un dicton en lingala ne dit-il pas "kombo elandaka" ce qui signifie " le nom suit" : une formule concise et imagée qui résume assez bien ce qu’est la psychologie des prénoms.

En effet, en ciluba, Kalala signifie "celui qui a de la valeur", "le valeureux" (1).

À la base, ce n’était pas un nom commun, mais un titre donné au 1er guerrier du royaume (2).

Dans le dictionnaire français-tshiluba, Kalala est défini comme " sous-chef de guerre, vice-ministre de la défense" (3).

Ce nom est donc profondément associé à la notion de défense, de préservation.  

Dans l’actuelle organisation des sociétés, le Kalala serait ainsi l’équivalent du chef de la garde républicaine. Il est celui qui permet au chef de l’État de dormir sur ses 2 oreilles. Il est en quelque sorte la colonne vertébrale du pouvoir, car si le Kalala tombe, le chef tombe, si le chef tombe, le pays tombe. Être un Kalala c’est donc être un gardien du temple, un rempart de la tradition, un protecteur du corps, ce dernier autant physique que spirituel. D’ailleurs, l’ancien garde du corps du leader congolais Étienne Tshisekedi s’appelait Kalala.

Un Kalala doit donc avoir beaucoup d’humilité, car seule une grande modestie permet à un homme fort de respecter la hiérarchie, de résister au syndrome d’Iznogoud.

Dans cet univers de gros egos qu’est le monde kamite et panafricain, il fallait toute l’abnégation d’un Kalala pour rester au-dessus de la mêlée et éviter les palabres futiles qui fragilisent le mouvement.

Kalala Omotunde a effectué un travail colossal de son vivant, il a corrigé le tir d’un prénom donné à la naissance qui ne lui correspondait plus, et a honoré son 2e prénom de renaissance par ses actions.

 

Que la terre lui soit légère.

 

Mayamba Wa Luboya  

----

(1 )   Remi Biakabutuka, « Les noms lubaphones », 2004, p. 125.

(2 )   Idem

(3 )   Mathieu Kayoka Mudingay, « Dictionnaire Français-Tshiluba, 3e édition », 2011, p. 92.

 

Autres sources :

Kizito J. Kalala, « Ciluba, s’initier à la langue », 2019, 147 p. 


jeudi 30 juin 2022

Donner aux Congolais leurs fleurs


500 ans de résistance

Il y a exactement 516 ans avait lieu une des luttes fratricides les plus célèbres de l’histoire du Congo. Ce jour-là de 1506 à Mbanza Kongo, capitale du Royaume Kongo, s’entredéchiraient les frères Nzinga Mbemba et Mpanzu a Nzinga pour le poste de Mani a Kongo laissé vacant par le décès de leur père. Ce dernier, le chef Nzinga Nkuwu, avait flirté avec le christianisme apporté par les Portugais à la fin du 15e siècle, avant de s’en détacher, de retourner aux traditions Kongos et de demander aux missionnaires de rentrer gentiment chez eux.

Jusque-là, la relation entre les deux états était cordiale avec une immigration assez active des deux côtés. Pérégrination qui a laissé des traces indélébiles dans la linguistique. En effet, jusqu’à aujourd’hui dans les langues congolaises dont le kikongo et le lingala, l’on désigne l’occident par "poto" (et/ou mputu) : diminutif de Portugal et déformation de porto, car la lettre r n’existe pas dans l’alphabet de ces peuples.

Mais, la rétractation du Patriarche Nzinga Nkuwu sur la religion chrétienne et ses missionnaires était trop peu trop tard pour son fils Nzinga Mbemba : il eut un choc esthétique en lisant les écritures, en plus d’être séduit par la langue portugaise et de l’adopter. Mbemba était sans nul doute le néophyte le plus zélé de ce début de 16e siècle en terre africaine. Quant au fils Mpanzu, il était demeuré très ancré dans les traditions ancestrales.

Il y avait donc deux visions du monde qui s’opposait. Ce qui devait arriver arriva : un conflit sanglant entre les deux frères pour la prise du fauteuil. Appuyé par la puissance de feu du Portugal, Mbemba remporta la bataille sur son frère Mpanzu, et dirigea le Royaume durant une trentaine d’années. Il ne le savait pas à l’époque, mais il devenait l’ancêtre de Mobutu : il était le premier d’une longue lignée de dirigeants congolais qui ne jureraient que pour et par l’appui d’une grande puissance occidentale pour accéder au pouvoir.

Le règne de Mbemba fut catastrophique, fortement marqué par des kidnappings de jeunes et moins jeunes Kongos amenés par bateau comme de la marchandise pour servir d’esclaves majoritairement au Portugal et au Brésil.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, cette agression à elle seule aurait pu vider le royaume Kongo ou faire de lui le tapis du monde, mais c’était mal connaitre les ancêtres des Congolais…

Un siècle plus tard, en 1665, les agresseurs se sont multipliés et diversifiés. La guerre éclate et l’armée est redynamisée pour combattre les envahisseurs. Malheureusement, elle perd le combat, et la tête du Mani a Kongo est coupée et trainée dans la ville pour traumatiser le peuple et démoraliser les combattants.

Mais, découragement n’est pas congolais : le début du 18e siècle voit l’émergence de Kimpa Vita, une jeune révolutionnaire mystique. Elle redonne du courage au peuple pour se libérer par l’autodétermination et la confiance en soi. Kimpa Vita fit quelque chose de très intéressant sur le plan spirituel : elle associa les traditions ancestrales à la religion chrétienne, confession devenue dominante dans le royaume. Par ce procédé, elle fut en mesure de ratisser large et de contourner le débat religieux. Elle est elle aussi assassinée en 1706.

En novembre 1884, un conglomérat de grandes puissances se réunit en Allemagne pour s’organiser en système autour des terres africaines, les territoires aux embouchures du fleuve Congo sont à l’honneur pour les mauvaises raisons, ce sera le début des travaux de la fameuse conférence de Berlin. Des royaumes sont pris, annexés, et réunis sous les frontières de la RDC que nous connaissons actuellement. Le Congo de Léopold II est né, et sa vocation suprême inavouée est d’être une usine humaine à ciel ouvert pour les pays dits riches et leurs multinationales.

Mais là encore, c’était mal connaitre les Congolais…

En deux temps trois mouvements, les offensives de résistances s’enchaînent les unes après les autres. La Belgique perd énormément d’hommes sur le terrain des affrontements, mais Léopold II reste très flou sur les chiffres pour ne pas provoquer un tollé au parlement belge. Une chose était cependant claire : les Congolais n’allaient pas se laisser faire. Certains peuples comme les Tshokwes vont lutter intensément sur vingt longues années avant d’être obligés de déposer les armes, les yakas (bayaka) se battront pendant dix ans et la guérilla des chefs Kandolo, Yamba-Yamba et Kimpuki durera treize ans.

Lorsqu’arrive finalement l’indépendance le 30 juin 1960, plusieurs voient cela comme un "test de maturation" pour les Congolais. Ces observateurs pensent qu'ils échoueront lamentablement. Encore une fois, les prophètes de malheur seront déboutés. Non seulement les Congolais font preuve d’un vivre ensemble exemplaire, mais en plus, tous ces différents groupes linguistiques acceptent d’utiliser le lingala, langue d’un clan parmi tant d’autres, comme leur lingua franca. Cette position linguistique est plus que louable et peut servir de modèle mondial. Elle contourne ainsi une pratique courante en Afrique où souvent personne ne veut parler la langue de l’autre, alors tout le monde communique dans la langue coloniale, cette dernière faisant office de langue tutélaire plus d’un demi-siècle après les indépendances.

 

Assumer son rôle stratégique

De Frantz Fanon à Che Guevara, tous les grands penseurs de la moitié du 20e siècle qui ont phosphoré sur la question africaine arrivent à la même conclusion : du Congo partira la libération de l’Afrique et la mise en terre de l’impérialisme. Ce n’est pas de la flatterie envers les habitants du Congo, mais une froide analyse géostratégique. Ernesto Guevara était prêt au sacrifice suprême pour le Congo. En 1965, par la frontière tanzanienne, il rejoignit l’est du Congo accompagné d’un petit groupe de 13 Afro-Cubains, pour prêter main-forte aux rebelles lumumbistes avec la ferme volonté d’en découdre une fois pour toutes avec le néo-colonialisme en Afrique.

Le Che n’était pas le seul étranger à avoir rêvé d’un Congo grand et réellement indépendant. Avant lui, des Camerounais, Sénégalais, Ghanéens et autres anonymes ont été des chevilles ouvrières pour arriver aux célébrations du 30 juin 1960.

Les Congolais doivent se rappeler de cela et comprendre que l’aboutissement de l’indépendance du Congo a été une des œuvres panafricaine les plus réussites au monde.

En comprenant ce rôle essentiel de plaque tournante, les Congolais ne doivent pas se renfermer dans un entre-soi, mais laisser un espace pour les vrais amis du Congo.

Le peuple congolais n’a donc pas à s’embarrasser devant sa situation actuelle qui est difficile. Il subit l’une des agressions expansionnistes des plus longues et sanguinaires de l’histoire.

Mais, croire qu’ils vont se laisser faire serait mal connaitre les Congolais…

 

 

Joyeux 62e anniversaire de l’indépendance !

Mayamba Wa Luboya



*Crédit image : 

<a href="https://fr.freepik.com/photos/continent-africain">Continent africain photo créé par Allexxandar - fr.freepik.com</a>

dimanche 27 mars 2022

Fimbu : pourquoi les Léopards doivent absolument changer de slogan

Nous sommes à l’heure des qualifications pour le mondial de football 2022. Pour l’équipe les Léopards de la RDC, la passion des supporteurs est à son comble. Entre cris de ralliement, chants de stades et hymnes fétichistes, un mot revient souvent : fimbu.

Fimbu, qui signifie chicotte en lingala, est devenue l’expression omniprésente sur le terrain et dans les estrades à Kinshasa. Le terme a d’abord été popularisé par le chanteur Félix Wazekwa dans un titre homonyme qui sert de musique officielle pour le onze congolais. La chanson fimbu est aussi accompagnée d’une danse qui est une mimique d’un coup de fouet. C’est ce geste que font les joueurs congolais pour célébrer un but ou une victoire. L’idée derrière le concept est d’avertir l’adversaire que les léopards fouettent leurs rivaux et que tous ceux qui se dresseront sur leur route seront chicotés.

Tout cela serait beau si le "fimbu" n’était pas associé à une des périodes les plus sombres de l’histoire du Congo. En effet, si la chicotte est dans l’esprit des Congolais aujourd’hui, c'est parce qu'il n’y a pas si longtemps leurs grands-parents l’ont vécu dans leurs chairs.

Tout commence en 1890, cette année-là en Irlande, John Dunloop, à travers sa compagnie qui porte son patronyme, se lance dans la fabrication de pneus en caoutchouc. Cette idée va révolutionner l’industrie du vélo et celle de l’automobile. Des sociétés comme Goodyear, Michelin et autres sont dans la conception de pneumatique. Il y a alors une course mondiale au caoutchouc, et le Congo en regorge. À cette époque l’espace congolais est la "propriété privée" de Léopold II, Roi des Belges. Léopold II plonge tête première dans cette ruée vers le caoutchouc et il est extrêmement pressé, car il voit arriver la compétition du caoutchouc d’Amérique latine et de l’Asie. Le Roi des Belges ordonne ainsi à ses agents au Congo d’obliger les captifs congolais à accélérer la cadence de travail par tous les moyens nécessaires.

La chicotte devient l’ordre sur le chantier. Les hommes qui ne ramènent pas assez de caoutchouc sont chicotés et on va même jusqu’à kidnapper leurs femmes comme moyen de pression. Les plus récalcitrants sont simplement assassinés et coupés la main comme preuve et trophée.

C’est par ce régime de "fimbu" que le caoutchouc devient la principale source de revenu de Léopold II et que des entreprises, aujourd’hui multinationales, prennent leur envol. 

Ainsi, contrairement à la croyance populaire les châtiments corporels dans l’éducation des enfants ne font pas partie des traditions congolaises.

Par traumatisme, la famille congolaise est devenue le prolongement du système colonial. La majorité des caractéristiques du colonialisme y sont recopiées : le père remplace le colon (froid, distant et méchant), le privilège des membres plus claires de peaux, et la fameuse chicotte dans toutes les maisons comme elle était dans tous les bureaux des administrateurs coloniaux. 

La nouvelle génération de Congolais doit combattre le syndrome de Stockholm et comprendre que la chicotte est un produit importé. Chanter et danser "fimbu" est une honte nationale et une insulte à nos ancêtres.

C’est comme si aujourd’hui, des juifs feraient d’un instrument de torture durant l’holocauste, le principal slogan de leur équipe nationale de football. 

 

 

 

Mayamba Wa Luboya

Kalala, un nom qui lui allait si bien