" Nous avons longuement parlé avec Kabila de ce que notre gouvernement considérait comme une faute stratégique de nos amis africains ; face à l’agression manifeste des puissances impérialistes, le mot d’ordre mis en avant était "le problème du Congo est un problème africain" et l’on agissait en conséquence. Nous, nous pensions que le problème du Congo était un problème qui concernait le monde entier. " Ernesto Che Guevara, Dar Es Salam, février 1965.
Nous ne le dirons jamais assez : sans compréhension profonde de l’histoire du Congo et de l’Afrique, il est quasi impossible de réellement faire de la politique avec succès. On ne peut saisir entièrement ce qui se déroule actuellement à Goma, et au Congo en général sans un regard profond sur le passé. Faute de quoi, nous avancerons à courte vue et nous nous exposerons à toutes sortes de manipulations et autres fake news concocter dans les officines de sombres conseillers de l’ombre.
Depuis quelques jours, les habitants de Goma, en République démocratique du Congo, n’ont sûrement pas pu fermer l’œil, tellement que les balles fusaient dans tous les sens par les terroristes du M23 et leur alter ego : l’Armée rwandaise de Paul Kagame.
Comme beaucoup, ils se sont demandé d’où venait ce conflit? Comme beaucoup, ils n’arrivent pas à s’expliquer logiquement qu’une petite milice comme le M23 et un petit pays comme le Rwanda puissent tenter de génuflexer un sous-continent comme le Congo.
Il faut ainsi jeter un coup d’œil dans le rétroviseur pour comprendre les racines de ce pseudo-conflit régional interafricain, qui n’est nul qu’une autre agression impérialiste maquillée.
Aux origines du mal
1506 : année où le roi Nzinga Mbemba prend le pouvoir au royaume Kongo grâce à la puissance de feu du Portugal. Le roi le plus crédule de l’histoire du Congo crée ainsi un précédent, il ouvre une porte que les Congolais n’arrivent toujours pas à fermer 500 ans plus tard : l’appât du gain de grandes puissances occidentales pour les richesses du Congo n'a jamais été rassasié, et la mode de certains Congolais qui consiste à prendre le pouvoir dans son pays via un parrain extérieur n'est toujours pas déphasée.
S’en suivent près de 400 ans de brigandage désordonné où chacune des grandes puissances vient se servir à tour de rôle, créant parfois des conflits d’intérêts.
Pour éviter les accrochages entre cousins et organiser un braquage plus méthodique, une grande réunion de famille est convoquée : la conférence de Berlin.
1885 : La conférence de Berlin. Ce long séminaire entre grandes puissances occidentales a donc pour but initial d’organiser la razzia autour du bassin du Congo. L’état indépendant du Congo est créé. Toutefois, la dénomination "indépendant" ne rime pas avec libre, mais davantage pour No-Man’s-Land. Un territoire qui servira de coffre-fort des puissants pour toutes sortes d’aventures : l’industrie automobile, la fabrication de bombes atomiques (Hiroshima, Nagasaki), l’exploitation de main-d’œuvre à faibles coûts et autres entreprises macabres.
Le Roi Léopold II et la Belgique sont nommés comme gérants de cette boutique où tout est modique pour quiconque est membre de ce club sélect.
Durant cette colonisation qui n’a pris fin qu’en 1960, tout le monde s’est enrichi au Congo sauf les Congolais. Des juifs venus principalement de Rhodes ont fait fortune, des Belges qui étaient au bas de l’échelle sociétal en Belgique ont pris l’ascenseur social, que dis-je, la fusée, grâce aux richesses accumulées au Congo par la force de travail abordable, pour ne pas dire gratuit, des colonisés et le monopole de marché.
1959 : les martyrs de l’indépendance. Cette année-là, un 4 janvier, de jeunes gens mécontents mettent Léopoldville (ex-Kinshasa) à feu et à sang, exaspérés par une vie difficile sans perspective. L’émeute n’était pas planifiée, deux groupes se retrouvent dans la rue en même temps : des supporters sortants d’un match de football et des partisans de l’ABAKO, un parti politique, dont le meeting venait d’être annulée à la dernière minute.
Leur révolte accélère les négociations pour l’indépendance, la Belgique n’est pas la France : elle ne voulait pas se lancer dans une guerre du Congo comme celle d’Algérie.
1960 : arrive cette fameuse indépendance. À peine les célébrations terminées que l’impérialisme revient comme un phénix. Les géants occidentaux se battent encore entre eux pour récupérer le Congo et transformer l’indépendance ardemment acquise en néo-colonialisme : une colonisation light avec un administrateur noir, une constitution copiée-collée et aucune souveraineté économique. C’est ainsi qu’en septembre 1960, à peine 2 mois après l’indépendance, Lumumba, le 1er ministre, et Kasavubu, le président, sont maitrisés par Mobutu, la nouvelle recrue des services de l’ouest.
1965 : 2e et dernier coup d’État de l’occident. Car, oui, il est faux de dire que Mobutu a pris le pouvoir avec l’aide des É.-U., Belgique et Cie : ce sont eux qui ont pris le pouvoir avec l’aide de Mobutu. En septembre 1960, lors de ce 1er coup d’État mentionné plus haut, Mobutu a 30 ans, il est un journaliste autodidacte, pauvre et avec un carnet d’adresses qui tient sur une page. Sans la confiance et la logistique des services secrets occidentaux, il n’aurait jamais eu le courage de s’attaquer aux deux hommes les plus puissants du pays : le président Kasavubu et le 1er ministre Lumumba.
1996 : les Occidentaux n’ont plus besoin de Mobutu. La guerre froide est terminée, et l’homme à la toque de léopard se donne un peu trop d’importance à leurs yeux. Dans les couloirs de la diplomatie occidentale, les diplomates appellent Mobutu : l’homme fort le plus faible du monde. Dans ces milieux, on sait qu’il bombe le torse en public, mais que son pouvoir ne repose pas sur grand-chose, qu’il est entre les mains de décideurs à Washington, Bruxelles, Londres...
Ils ont toléré ses sorties de cadres, faute de mieux, pour garder l’influence en Afrique centrale face à l’URSS, mais c’en est assez.
L’AFDL est créé, une organisation rwandaise. Pour l’aspect, on va chercher un Congolais qui pèse, un vieux maquisard lumumbiste du nom de Laurent-Désiré Kabila et le nomme comme porte-parole du groupe. Kabila fait la Taqîya version congolaise : il fait mine d’être un cheval de Troie, pour ensuite se déclarer président du pays dès que l’AFDL fait tomber Mobutu.
Ensuite, il demande aux Rwandais qui l’ont mis au pouvoir de bien vouloir rentrer chez eux dans les plus brefs délais. Il faut savoir que l’armée rwandaise de Paul Kagame est un sous-traitant des puissances occidentales.
En fait, Kagame se rêve en nouveau Mobutu de la région des Grands Lacs et voit le Rwanda comme le nouveau comptoir où marchander les richesses du Congo.
2001 : LD Kabila est assassiné. Il tient un discours patriotique, il paye les salaires des fonctionnaires à temps, et en plus, est intransigeant avec la corruption. Vraisemblablement, il ne fait pas ce pour quoi il avait été nommé porte-parole de l’AFDL, et ne cadre vraiment pas avec le profil de l’emploi que l’on se fait d’un administrateur d’une néo-colonie.
En été 2000, les É.-U., via la DIA (US Defense Intelligence Agency), débloquent 36 millions de dollars américains pour le projet d’assassinat du président LD Kabila(1).
Son fils Joseph Kabila prend le pouvoir et joue les équilibristes 18 ans durant pour éviter le sort du paternel.
2019 : Félix Tshisekedi prend le pouvoir après des élections. Tshisekedi utilise une diplomatie dont lui seul a le secret : il veut changer le cœur du méchant. Il approche Kagame, l’appelle "mon frère", le tient la main en public et l’invite au stade à Kinshasa pour les obsèques de son père. Tshisekedi mise sur la fraternité africaine pour raisonner Kagame, et ainsi prendre de court les grandes puissances.
Il espère éviter le carnage par un compromis à l’africaine. Ce sera sûrement pour Tshisekedi une des plus grandes leçons de sa vie : le cœur du méchant n’a pas bougé d’un iota.
Par cet échec, Tshisekedi apporte de l’eau au moulin de ses détracteurs qui le qualifie de grand naïf.
Depuis 30 ans, Kagame sort toutes sortes d’acrobaties pour expliquer la présence de ses troupes en RDC. Occasionnellement, c’est pour revenir aux frontières avant la conférence de Berlin, comme s’il ignorait le principe de l’intangibilité des frontières adopté à la conférence de l’OUA de 1964. Tantôt, pour poursuivre les ethnocidaires hutus responsables du génocide au Rwanda, ou encore pour protéger les Congolais d’origines Tutsis-Rwandaises qui seraient persécutés sur le sol congolais.
La vérité est qu’il est mandaté pour perpétuer un chaos à l’est du pays qui permet d’organiser le pillage des ressources et le recel vers l’occident. Exactement comme au début du 20e siècle dans l’état indépendant du Congo.
2025 : lassé de se cacher, poussé dans ses derniers retranchements par la diplomatie congolaise, Paul Kagamé envoie des milliers d’officiers de l’armée rwandaise attaquer Goma et cherche à négocier un énième accord de partage de postes, de brassage dans l’armée ou menace de marcher sur Kinshasa.
La grande force de l’impérialisme est de créer des guerres horizontales. Aujourd’hui, ce sont des Congolais, des Rwandais et même des Sud-Africains qui meurent, or que la majorité des bénéfices tirés des ressources de cette zone de guerre prennent une destination hors Afrique.
Le but n’est pas de pleurnicher sur l’impérialisme, cela a été le destin de presque tous les peuples. L’objectif est de dire que l’époque des impérialismes est révolue, et qu’il faut régler ce problème à la source afin de proposer des solutions adaptées.
Que Dieu bénisse le peuple congolais, qui a le droit à l’autodétermination.
Guy-Serge Luboya
Mots clés : Goma, RDCONGO, Rwanda, M23, Tshisekedi, Kagame, Impérialisme, Guerre horizontale.
(1) : Braeckman, Colette. Les nouveaux prédateurs, Bruxelles, Aden, 2009, 394 p.
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